Le nombre d’objets connectés dans le monde devrait passer de 20 milliards en 2020 à 45 milliards en 2030, selon les projections de l’ADEME et de l’Arcep1. En France, on estime à 244 millions le nombre d’objets connectés en 2020. Cette croissance exponentielle touche autant les usages du quotidien (domotique, mobilité, santé…) que les infrastructures critiques, à commencer par les réseaux énergétiques.
Dans le secteur électrique, cette dynamique se traduit par un mouvement de fond : la digitalisation accélérée des réseaux. Face à la transition énergétique et à l’électrification croissante des usages, les réseaux électriques connaissent une transformation sans précédent. Le modèle centralisé traditionnel laisse place à un système plus décentralisé, plus complexe et surtout plus dynamique, intégrant des milliers d’actifs sur le territoire.
Nous vous invitons d’ailleurs à consulter les articles Yélé traitant de la digitalisation des réseaux :
- Digitalisation des réseaux Chaîne Gazière 4.0 : 15 raisons de repenser demain
- Smart Grid, l’intelligence dispatchée dans le réseau pour la transition énergétique
Dans ce contexte, les gestionnaires de réseaux, qu’il s’agisse de Gestionnaires du réseau de Transport (GRT) comme RTE ou de Gestionnaires du réseau de Distribution (GRD) tels qu’Enedis ou les Entreprises Locales de Distribution (ELD), font évoluer leurs outils de pilotage, leurs modèles d’exploitation et leurs référentiels de maintenance. Les enjeux sont clairs :
- Renforcer la continuité et la qualité de service,
- Réduire les pertes techniques,
- Sécuriser l’intégration des énergies renouvelables,
- Et améliorer la résilience du réseau face aux aléas climatiques et aux évolutions des usages.
C’est dans ce cadre que l’Internet des Objets (IoT) s’impose comme un levier stratégique à la croisée des enjeux techniques, opérationnels et environnementaux. Cette technologie permet de capter, transmettre et exploiter de manière fine, distribuée et en temps réel des données de terrain essentielles à la performance opérationnelle (tension, intensité, puissance, température, hygrométrie, vibrations…).
Comprendre l’IoT : une technologie au service de la donnée terrain
Avant d’analyser l’impact de l’Internet des Objets (IoT) sur la supervision du réseau électrique, il convient de rappeler les fondamentaux de cette technologie.
La norme ISO/IEC JTC 1/SC 41 définit l’Internet des objets comme « une infrastructure permettant l’interconnexion d’objets physiques ou virtuels, capables de collecter, d’échanger et de traiter des données via des réseaux de communication, afin de fournir des services ».
Concrètement, l’IoT désigne un écosystème d’objets physiques interconnectés, capables de collecter automatiquement des données de leur environnement (température, humidité, vibrations, intensité électrique, etc.) et de les transmettre via des réseaux de communication, sans intervention humaine directe.
Leur fonctionnement repose sur une chaîne technologique structurée en trois couches :
- Les capteurs et actionneurs : installés sur le terrain, ils mesurent les paramètres physiques ciblés et appliquent les commandes provenant des systèmes d’information ou des programmes embarqués.
- Les réseaux de transmission : ils désignent l’ensemble des technologies permettant aux objets connectés (capteurs, passerelles, applications, etc.) de communiquer entre eux et avec des plateformes centralisées ou décentralisées. Le choix de la technologie adéquate (xG, Radio, LoRaWAN, Sigfox, NB-IoT) se fait en fonction de sa bande passante et de sa portée en lien avec le cas d’usage du projet concerné.
- Infrastructures de données & plateformes : déployées sur le cloud ou en edge computing, elles centralisent, analysent, visualisent et exploitent les données à des fins de supervision, de maintenance ou de pilotage pour créer de la valeur métier.
Le réseau électrique et l’IoT
Avant d’aborder l’apport de l’IoT dans la conduite et l’exploitation du réseau électrique, il est essentiel de comprendre sa structure et ses contraintes.
En France, une fois l’électricité produite, elle transite par le réseau de transport géré par RTE. Ce réseau national comprend plus de 105 000 km de lignes à haute tension, allant de 63 kV à 400 kV2. L’électricité est ensuite acheminée via le réseau de distribution, qui repose notamment sur environ 300 000 km de lignes aériennes moyenne tension (HTA)3.
Le réseau électrique, dans son ensemble, est conçu sous forme de maillage. Chaque poste électrique, ou nœud, peut être connecté à plusieurs lignes. Cette architecture interconnectée assure la résilience du système et facilite la circulation de l’électricité sur l’ensemble du territoire.
C’est dans ce contexte que l’Internet des Objets (IoT) joue un rôle clé, en apportant des capacités de surveillance, d’optimisation et d’automatisation inédites à chaque maillon de ce réseau complexe.
Dans un réseau aussi vaste, complexe et maillé que celui de l’électricité, la visibilité en temps réel et la capacité d’agir rapidement sur les infrastructures deviennent des enjeux majeurs. Le gestionnaire du réseau de distribution a besoin de récolter des informations sur son réseau (tension, intensité) en temps réel afin de le conduire d’une façon efficiente, et anticiper et minimiser les défauts.
Cas de la détection de défauts HTA
Dans le cas du réseau HTA français, des capteurs permettant de réaliser des mesures et de détecter certains défauts sont positionnés sur le réseau, notamment dans les postes de distribution qui assurent la transformation HTA/BT.
Initialement, ces capteurs ne communiquaient pas avec le système SCADA4, faute de moyens de communication efficaces. Un défaut détecté sur le réseau n’était donc visible que localement dans le poste concerné, nécessitant le déplacement d’un technicien pour contrôler manuellement les différents postes afin de localiser précisément le défaut.
Pour les postes dont certains organes sont télécommandés via le SCADA, et donc dotés d’un contrôle commande, les informations concernant la détection de défauts remontent via le calculateur (l’organe de contrôle du poste) de la même façon que les autres échanges entre le SCADA et le poste (différents protocoles possibles : IP, radio, etc). Cependant ces postes dits télécommandés ne permettent de surveiller qu’une petite partie du réseau HTA.
Une détection de défauts plus efficace grâce à la l’IoT
L’avènement de l’IoT a permis l’apparition des compteurs communicants Linky (Enedis est le propriétaire du plus important réseau IoT français avec 36 millions de Linky), appuyés par une infrastructure de remontée des données.
Des boitiers, appelés concentrateurs, permettant de concentrer les flux de données remontant des compteurs Linky ont été installés dans les postes de distribution. Ces équipements conçus pour collecter les données de consommation intègrent également la remontée des informations de détection des défauts.
La quasi-totalité des postes de distribution étant équipés de concentrateurs, la remontée des défauts est donc assurée pour cette typologie de postes. Le Concentrateur, un objet connecté s’appuyant sur le réseau cellulaire, permet donc de communiquer à la fois les données de consommation des compteurs Linky (pour la facturation des clients) et les défauts du réseau HTA.
Pour conduire et superviser de manière encore plus efficiente le réseau HTA, en particulier sur les 300 000 km de lignes aériennes5 à l’origine de nombreux défauts (arbres proches des lignes, zones rurales moins supervisées, malveillance), il est nécessaire d’avoir des capteurs autonomes en dehors de ces différents postes communicants.
Ces capteurs doivent pouvoir être simplement adossés à un poteau, sans avoir à s’appuyer sur un système externe de remontée d’informations, ni une alimentation électrique continue.
Depuis quelques années, de tels capteurs IoT ont justement été installés sur certains poteaux du réseau aérien afin de détecter à distance les anomalies de circulation du courant. Dès qu’un défaut est détecté, ces capteurs communiquent automatiquement des données précises : localisation géographique, heure de l’événement, nature du défaut, etc. Ces capteurs sont alimentés par pile, batterie, ou même par un panneau solaire pour certains, leur permettant une durée de vie d’environ 10 ans en fonction des usages, sans nécessiter de branchement au réseau BT.
Le SCADA du gestionnaire de réseau est ainsi mis à jour en temps réel, sans déplacement d’agents pour localiser le défaut suite à un appel d’un client dont le courant aurait été coupé. Ce dispositif représente un gain de temps considérable pour les équipes techniques, qui peuvent se rendre directement sur la zone concernée pour intervenir plus rapidement. Par ailleurs, ces capteurs permettent aussi de repérer des défauts récurrents et non permanents sur le réseau, contribuant ainsi à anticiper les pannes et à renforcer la fiabilité du réseau.
L’IoT s’est donc imposée comme une technologie clé pour superviser le réseau HTA. Cela permet d’équiper les différents éléments du réseau (postes électriques, transformateurs, lignes, compteurs…) de capteurs intelligents capables de collecter, transmettre et analyser des données en continu. Ces objets connectés permettent de mesurer l’état du réseau en temps réel, détecter les anomalies, optimiser la gestion des flux d’électricité et anticiper les défaillances. Ils offrent une vision fine et dynamique de l’état du réseau.
Des enjeux technologiques complexes à maîtriser
Toutefois, le déploiement de l’IoT soulève des défis techniques majeurs qu’il convient d’anticiper et de gérer :
L’interopérabilité des composants constitue un premier enjeu critique. La diversité des fabricants, protocoles et standards techniques impose une approche coordonnée pour garantir la compatibilité et l’efficacité des systèmes.
La gestion du volume de données représente un défi d’ampleur. La multiplication des capteurs génère des flux informationnels considérables qui nécessitent des capacités de traitement, stockage et analyse adaptées.
La cybersécurité et la confidentialité constituent des préoccupations centrales. La protection des données sensibles et la sécurisation des infrastructures critiques exigent des mesures de sécurité robustes et évolutives.

Le sujet vous intéresse ?
Parlons-en !
La digitalisation du réseau électrique, nécessaire pour réussir la transition énergétique et l’électrification des usages, passe notamment par l’utilisation de l’IoT pour superviser en temps réel les infrastructures, et exploiter les données issues du terrain. Cette nouvelle technologie de capteur est déjà utilisée pour détecter et remonter des défauts en dehors des postes communicants déjà présents, sur des lignes aériennes en zone rurales par exemple, ou pour suivre en temps réel l’état de charge des générateurs de secours utilisés pour certains évènements ou en cas d’incident sur le réseau.
L’utilisation de l’IoT engendre de nouveaux défis, tels que la gestion de l’interopérabilité des composants, de la quantité de données récoltées, et de la sécurité et confidentialité des données. De plus, la multiplication de capteurs électroniques, de données remontées, et d’infrastructures de stockages, implique nécessairement une augmentation des ressources utilisées, de la consommation d’énergie, et donc de l’empreinte carbone du réseau électrique. Une réflexion s’impose donc sur l’optimisation énergétique des solutions IoT et la recherche d’un équilibre entre bénéfices opérationnels et impact environnemental.
Rédacteur : Melvil Colas, Yasemin Atasay et Fatima-Ezzahra TAYAB
Avec l’appui de : Ikram Maatoug
Sources :
- ADEME : Agence De l’Environnement Et de la Maîtrise de l’Energie, Arcep : Autorité de Régulation des Communications Electroniques, des postes et de la distribution de la Presse
- Bilan électrique 2022 – Réseau de transport d’électricité | RTE
- Données relatives aux lignes et aux postes électriques — Open Data d’Enedis
- SCADA : Système de contrôle et d’acquisition de données en temps réel. Outil informatique industriel permettant de traiter en temps réel un grand nombre de télémesures et de contrôler à distance des installations techniques.
- Données relatives aux lignes et aux postes électriques — Open Data d’Enedis pour la HTA, et pour la HTB