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Pourquoi l’essor des véhicules électriques pourrait devenir la clé d’un réseau électrique plus flexible

La recharge des véhicules électriques ne se limite plus à une contrainte d’usage, elle devient un levier stratégique pour le système électrique. Entre recharge intelligente, pilotage et V2G, le défi est désormais de lever les freins techniques et réglementaires tout en garantissant simplicité et confort pour les utilisateurs.

Un parc automobile électrique en pleine croissance…

En France et plus généralement en Europe, le nombre de véhicules 100 % électriques et hybrides rechargeables en circulation n’a jamais été aussi élevé et continue de croître rapidement. Par ailleurs, dans le paquet Fit for 55 adopté en 2023, l’UE prône une baisse de 100% des émissions de CO₂ des véhicules neufs à partir de 2035, ce qui impose la fin de la vente de voitures thermiques. Le parc de véhicules électriques (VE) devrait donc continuer de croitre fortement ces prochaines années. D’après l’AVERE, en avril 2025, on comptait 2,2 millions de véhicules électriques.

Selon RTE, ce chiffre pourrait grimper à 15 millions en 2035 et les véhicules électrique représenteraient alors 10% de la consommation électrique globale. Cette croissance devrait en partie être portée par le secteur tertiaire. En effet, depuis début 2025, les entreprises sont tenues d’augmenter la proportion de véhicules électriques dans leur flotte (15% minimum d’ici la fin de l’année) sous peine de devoir s’acquitter d’une taxe. Cette mesure s’accompagne de premiers chiffres probants avec une augmentation des investissements de 50% en mai 2025. Cela renforce le rôle central des entreprises sur ce marché et ouvre des perspectives sur le potentiel de flexibilité qu’elles peuvent offrir.

… Qui offre un potentiel de flexibilité face à l’augmentation des ENR

En seulement quelques années, la flexibilité de consommation est devenue un pilier stratégique de la transition énergétique. Avec la forte croissance des énergies renouvelables, qui représentent environ 30% du mix, les capacités de production n’ont jamais été aussi importantes. Cependant, la consommation ne suit pas les prévisions haussières et tend même à diminuer.

Ainsi, pour satisfaire l’équilibre offre-demande nécessaire au fonctionnement du réseau et éviter un potentiel blackout, une partie de la production renouvelable est écrêtée, c’est-à-dire coupée, en milieu de journée (8% du volume théorique pour l’éolien terrestre et 10% pour le solaire, entre avril et juin 2025). La flexibilité de consommation doit donc répondre à cet enjeu : consommer lorsque la production est abondante afin de limiter l’écrêtement et de valoriser pleinement l’énergie produite.

Ce mécanisme consiste donc à pouvoir moduler la consommation des usages en fonction de l’énergie disponible. La flexibilité offre ainsi à l’acteur qui la met en œuvre un potentiel de valorisation énergétique et économique :

  • En modulant sa consommation à la hausse lorsque la production est élevée, notamment entre 13h et 17h pendant le pic de production solaire ou lorsque la demande est faible, notamment la nuit.
  • En modulant sa consommation à la baisse lorsque la demande est importante, spécialement sur les pics de consommation du matin (8h-10h) et du soir (18h-20h).

C’est dans ce cadre que les véhicules électriques interviennent : le pilotage de leur recharge devient fortement bénéfique au réseau. En ajustant la puissance, ainsi qu’en adaptant l’heure et la durée de la charge en fonction de la demande et de la disponibilité des moyens de production, les véhicules électriques permettent de participer à l’équilibre du réseau.

Ce principe n’est pas nouveau : par exemple, le pilotage des chauffe-eaux durant la nuit, en place depuis les années 1970, a permis de réduire la puissance de pointe d’environ 2 GW. La recharge des véhicules électriques doit s’inspirer de ce modèle en exploitant les périodes creuses du réseau. Avec des véhicules à l’arrêt approximativement 95% du temps et des usagers qui les utilisent principalement pour aller au travail, cela ouvre la voie à une recharge plus répartie dans le temps, notamment en journée.

L’augmentation du nombre de véhicules électriques dans les prochaines années viendra combler le manque de consommation et tirer profit du surplus de production à condition donc qu’elle soit pilotée et ait lieu sur les plages horaires les plus adéquates. Le secteur du tertiaire, en l’occurrence, pourrait jouer un rôle structurant, avec l’installation de bornes de recharge sur sites, permettant d’encourager une recharge diurne, mieux alignée avec les pics de production renouvelable.


Selon les travaux de RTE Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique, la recharge non pilotée peut engendrer une augmentation de la consommation sur les heures de pointe de plus de 5 GW, soit un niveau équivalent à la production de 4 tranches nucléaires. Sans mécanisme d’encadrement, l’effet inverse pourrait se produire, se traduisant par exemple par un pic de consommation en début de soirée, notamment lié aux recharges effectuées au retour des trajets domicile-travail.

Des technologies prêtes à être déployées pour les véhicules électriques

Pour optimiser l’impact de la recharge, il est important de repenser le système dans sa globalité et de lever les freins qui peuvent exister. Plusieurs technologies sont en développement, voire déjà à l’essai, mais doivent bénéficier d’un cadre général favorable pour être lancées à grande échelle.


La technologie la plus mature est aujourd’hui le smart charging. Elle consiste à piloter la recharge en ajustant la puissance en fonction des signaux de prix, de la disponibilité de l’énergie ou des besoins du réseau tout en respectant les contraintes de l’utilisateur. Cela est bénéfique pour le réseau mais également pour le consommateur qui peut profiter de tarifs plus avantageux. Les principaux fournisseurs d’électricité ont d’ailleurs compris l’enjeu et mis en place des offres dédiées à la recharge de véhicules électriques avec des tarifs avantageux sur certaines heures, principalement de nuit. À titre d’exemples, nous pouvons citer les offres GO d’Octopus Energy, l’offre spéciale véhicules électriques d’Engie, l’offre Vert Électrique Auto d’EDF.


Actuellement, une autre technologie offrant des opportunités de flexibilité encore accrues est en développement : le véhicule-to-grid (V2G). Cela correspond à un véhicule équipé d’une batterie bidirectionnelle capable en même temps de soutirer de l’électricité mais également d’en réinjecter sur le réseau. Ainsi, prochainement, les véhicules pourraient de plus servir de moyen de stockage d’électricité. Ils joueraient alors un rôle de variable d’ajustement, en absorbant le surplus de production et en réinjectant de l’énergie pendant les heures de pointe. Cela offrirait de nouveaux mécanismes de flexibilité pour le réseau et permettrait aux consommateurs comme aux opérateurs de valoriser cette capacité de stockage.


La solution V2G est actuellement étudiée par de nombreux acteurs en Europe mais est encore au stade de l’expérimentation. Parmi les principaux acteurs concernés, Renault avec sa marque Mobilize commercialise des véhicules compatibles avec la charge bidirectionnelle comme la Renault 5-E-Tech. Dans la ville d’Utrecht aux Pays-Bas, le projet d’autopartage de 50 Renault 5 (V2G) est désormais opérationnel et sera observé de près. La ville dispose à présent d’une centrale électrique mobile lui permettant de gérer au mieux sa consommation. Au Royaume-Uni, c’est Octopus qui a lancé un partenariat avec la marque chinoise BYD pour commercialiser des véhicules V2G et créer une offre associée.


En parallèle, des offres à destination des consommateurs apparaissent et promettent de faire diminuer drastiquement la facture de leurs clients. Octopus Energy et Mobilize (Renault), deux acteurs de fourniture d’énergie pour l’un et de la mobilité pour l’autre, ont lancé leur première offre dédiée au V2G. Octopus Energy propose au Royaume-Uni une offre V2G avec recharge gratuite en échange du pilotage de la batterie par le fournisseur, sans que le client ne profite directement des écarts de prix. Ainsi, le fournisseur se rémunère en valorisant les capacités de stockage des véhicules. En France, Mobilize propose une offre à tarif fixe (10 % sous le TRV) assortie d’un cashback en fonction de la durée de branchement. Contrairement à Octopus, le client perçoit une rémunération variable et peut intégralement couvrir le coût de sa recharge, avec une économie annuelle non négligeable.

Plus largement, selon une étude réalisée par les instituts Fraunhofer, les économies potentielles générées par les V2G à horizon 2040, pour les énergéticiens et les consommateurs européens, sont chiffrées à 22 milliards d’euros par an, soit 8% des coûts de construction et d’exploitation globale du système électrique européen[1].

Des freins à lever pour permettre l’expansion de ces technologies

Pour les consommateurs, l’enjeu principal reste la disponibilité de leur véhicule électrique et les durées de chargement. Le développement massif des bornes de recharge et l’augmentation des puissances de charge est une réponse qui va dans ce sens. Cependant, avec l’arrivée de concepts comme le pilotage de la recharge ou même la recharge bidirectionnelle, il est important de créer un écosystème facilement compréhensible qui ne fasse pas perdre de confort aux consommateurs. Ces derniers souhaitent avant toute chose que leur véhicule soit chargé lorsqu’ils en ont besoin avant de penser aux considérations globales du réseau.


Ce sujet de l’accessibilité et de la compréhension pour le consommateur doit être au centre des débats. Le cadre réglementaire européen doit ainsi permettre d’évoluer vers plus de clarté et d’uniformité. Par exemple, le développement du V2G requiert des modèles de batterie et des bornes de recharge compatibles, ce qui limite son déploiement et l’intérêt des consommateurs. Des directives ont été données et de nombreuses incitations sont aujourd’hui en vigueur. Pourtant, il reste encore des mesures à mettre en place pour construire un écosystème dans lequel chaque utilisateur trouve son compte.


Il devient également important de repenser la seconde vie des batteries qui peuvent perdre en autonomie rapidement. Le nombre de cycles de charge et de décharge, notamment dans le cas du V2G, peut être un accélérateur de l’usure de la batterie. Au contraire, une étude récente réalisée par des chercheurs britanniques tend à prouver qu’un pilotage optimal de la recharge pourrait rallonger leur durée de vie de 9 %.

Nos recommandations

Déployer le pilotage intelligent de la recharge

  • Programmation différée de la recharge
  • Gestion programmée de puissance
  • Intégration avec les systèmes de gestion de l’énergie
  • Mise en place d’outils SI plus flexibles du côté des opérateurs de bornes

Autant d’outils pouvant améliorer le pilotage et permettre de réagir plus rapidement aux signaux de prix de marché et aux déséquilibres offre-demande sur le marché de l’électricité

Favoriser l’uniformisation et la standardisation

  • Standardiser les modèles de batteries du côté des constructeurs automobiles
  • Standardise les bornes de recharge et les protocoles de communication (normes ISO)
  • Créer un environnement simple d’utilisation pour le consommateur et plus facilement pilotable pour les opérateurs

Exemple : l’implémentation de la norme ISO-15 118 permettra la communication bidirectionnelle entre le véhicule et le réseau (V2G) et facilitera la recharge intelligente.

Encourager l’installation de bornes dans les logements collectifs et développer la recharge sur les lieux de travail

  • Faciliter l’accès à la recharge pilotée à domicile
  • Optimiser la gestion de la demande électrique nocturne pour les particuliers.
  • Dans le tertiaire, répartir la charge sur la journée pour éviter les pics résidentiels du soir

Sensibiliser les utilisateurs au pilotage de la recharge

  • Informer davantage les consommateurs sur les bénéfices du pilotage (< 10 % des utilisateurs aujourd’hui).
  • Adopter une démarche pédagogique, rassurer sur la garantie de la recharge et l’usure de la batterie
  • Mettre en place des campagnes d’information

Lancer des offres de fourniture plus attractives et dynamiques

  • Développer et commercialiser des offres attractives
  • Proposer des incitations tarifaires (heures creuses, bonus flexibilité)

Les véhicules électriques devraient représenter un vivier non négligeable pour la flexibilité du système électrique. L’adoption du véhicules électriques par les automobilistes reste lente malgré les efforts engagés et les politiques incitant à l’électrification de la flotte de transport. Les opportunités qui pourraient en découler sont importantes et la priorité semble être de définir un cadre européen uniforme afin de faciliter le développement de ces technologies.


En parallèle, il faudrait instaurer un cadre économique poussant les constructeurs automobiles à accélérer le déploiement de modèles de véhicules compatibles avec le V2G et encourageant le développement d’offres de fourniture d’électricité flexibles. Par la suite, au niveau des opérateurs, il s’agira de savoir via quels mécanismes ils pourront valoriser cette électricité (capacité, effacement, FCR, aFRR, mFRR, spot) et adapter ces derniers en fonction des problématiques du consommateur et du réseau.


Forte de son expertise en conduite des réseaux électriques et de son expérience auprès d’acteurs énergéticiens ou opérateurs de bornes de recharge, Yélé Consulting pourra vous accompagner sur ces thématiques relatives à la généralisation du véhicules électriques et aux flexibilités du système électrique.


Rédacteur : Abdeljelil Khalsi

Avec l’appui de : Maxime Selier, Léa Chevry et Clara Oliveira

Sources :

  1. « RTE vous répond sur la mobilité électrique » – rte-france.com
  2. « Bilan du premier semestre S1 2025 » –Bilan premier semestre S1 2025.pdf
  3. « Baromètre AVERE-Colombus – mai 2025 » – avere-france.org
  4. Électromobilité : enjeux, usages et impacts sur le système électrique – electromobilitee syntheese.pdf
  5. « V2G : la ville d’Utrecht rechargée par 500 Renault 5 électriques » – transportenvironment.org
  6. « Octopus Energy joins forces with BYD on V2G » – octopus.energy
  7. « Les batteries des véhicules électriques pourraient faire… » – Transport & Environment (T&E France)
  8. Quelle est la durée de vie d’une batterie de voiture électrique ?
  9. Project Final Report – https://www.cenex.co.uk/app/uploads/2022/06/EV-elocity-Final-Report_published.pdf