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Données sur l’énergie : quels usages pour aujourd’hui et pour demain

Usage des données de l’énergie aujourd’hui : un patrimoine stratégique pour les industriels du secteur et un vecteur d’optimisation essentiel pour les acteurs publics.

Les données sur l’énergie sont déjà au centre des transformations digitales des acteurs du secteur de l’énergie.

Les « données sur l’énergie » désignent en fait un ensemble d’informations de natures diverses.

De manière intuitive, cela renvoie aux données décrivant les consommations : index, appels de puissance, courbes de charges ; ou des données décrivant les productions énergétiques : nature des énergies, puissances, productibles, etc.

Cet ensemble des données sur l’énergie englobe également les informations sur l’état du réseau : cartographie des ouvrages, qualité d’alimentation, interruptions ; des données d’exploitation sur le réseau ou les unités de production : interventions, travaux programmés, incidents ; les plans d’extension et de renforcement des ouvrages, les données tarifaires, la description des contrats (nature des abonnements, énergies souscrites), les données sur les clients, les impayés, les réclamations, etc.

Le volume et la précision des données disponibles sont aujourd’hui en croissance exponentielle, une conséquence directe de la transformation digitale du secteur de l’énergie portée par le développement des capteurs tout le long des réseaux, Linky et Gazpar en tête, mais aussi par la digitalisation progressive des métiers d’exploitants et de fournisseurs d’énergie (utilisation des tablettes numériques, développement de la relation clients en ligne, etc.).

Devenues centrales au sein des outils et méthodes de travail, ces données représentent désormais un actif stratégique de première importance pour les acteurs industriels du secteur de l’énergie, à un rang d’importance équivalent aux autres actifs que sont les ressources humaines et les infrastructures.

La bonne gestion de cet actif fait néanmoins émerger de nouveaux défis industriels : gestion massive des données à coûts maîtrisés, évolution des standards de cyber sécurité, évolution des compétences, etc.

Parallèlement, les acteurs publics aspirent à accéder et valoriser ces données au profit de leurs politiques publiques.

Après dix années de montée en charge dans leurs politiques énergie-climat, impulsées d’abord par le Grenelle de l’Environnement puis par la Loi sur la Transition Energétique, les collectivités territoriales ont un intérêt plus affirmé que jamais pour l’usage des données de l’énergie.

L’exploitation de ces données permettra en effet aux collectivités territoriales d’améliorer la performance de leurs politiques énergétiques, urbaines et sociales : diagnostic et suivi énergétique des territoires, aide à l’identification d’économies d’énergie et de développement des ENR, évaluation de l’efficacité des politiques énergétiques, identification des ménages en situation de précarité énergétique, meilleur ciblage des politiques et interventions, prospective urbaine, etc.

Par ailleurs, l’accès à ces données facilitera également le suivi et l’optimisation des contrats de fourniture énergétique et de concession des réseaux : développement de modalités de facturation plus adaptées sur le patrimoine des collectivités, meilleure capacité à faire jouer la concurrence entre fournisseurs, renforcement des processus d’audit et de suivi des contrats de concessions, etc.

Notons qu’au-delà de la question de l’accès aux données, les collectivités devront aussi faire face à l’enjeu de développement d’une ingénierie permettant leur pleine valorisation, et ceci sans être dotées des prérequis techniques dont disposent déjà les acteurs industriels. A ce titre, elles pourront s’appuyer sur plusieurs entreprises et start-ups qui développent progressivement des outils et modèles pour répondre à ces besoins à partir de solutions intégrées.

Ces évolutions ont lieu dans un contexte où l’écosystème des acteurs travaillant avec les données de l’énergie évolue.

Ces décrets sont révélateurs de la nécessité de trouver des équilibres entre protection commerciale, règles de concurrence, protection personnelle et performances de l’action publique. C’est in-fine toute la responsabilité du législateur et des régulateurs dans les domaines de l’énergie (CRE) et de l’information (CNIL), que d’aider à définir ces frontières.

Mais ce cadre établi, entre d’un côté des producteurs-utilisateurs des données et de l’autre les acteurs publics voulant en partager la valeur, peut être progressivement « dépassé » considérant l’émergence de nouvelles formes de données sur l’énergie, non produites par les acteurs industriels traditionnels : émergence des objets connectés dans l’habitat, développement de la mobilité électrique et de la voiture connectée, comptage multi-fluides, etc.

Dans cette perspective, les acteurs traditionnels ou les « nouveaux entrants » dans ce secteur peuvent se positionner et proposer des valeurs inédites dans l’usage de ces données, soit en créant des services innovants, à travers des visions multi-sectorielles et plus globales, soit en se positionnant en qualité de médiateur – tiers de confiance – pour assurer une cohérence dans la gestion des données.

Autour de cette perspective, nous esquissons, dans la suite, trois grandes tendances de ruptures qui impactent à la fois les collectivités et les acteurs industriels, mais qui offrent aussi des opportunités à de nouveaux entrants.

Usage des données de l’énergie demain : trois tendances de ruptures

La donnée de l’énergie est utilisée pour enrichir les offres de services allant de la simple fourniture de l’énergie vers la fourniture d’un service de bout en bout pour le client.

Les opérateurs énergétiques traditionnels travaillent déjà largement à la digitalisation des services de l’énergie à partir des données, en développant de multiples offres dédiées aux collectivités, entreprises et particuliers.

En revanche, ces services n’ont pas encore démontré leur capacité à devenir une réelle source de diversification économique pour les acteurs traditionnels. Jusqu’à présent, ils semblent plutôt un enrichissement des services existants, visant l’amélioration des relations clients et la pérennisation des positions marchés actuelles.

A ce jour, l’émergence d’acteurs purement dédiés à ces services, trouvant un modèle économique viable par l’usage des données de l’énergie, reste également assez limitée : comparateurs d’énergies, outils d’autodiagnostic, etc. Nous pourrons y voir ici une difficulté à définir des modèles économiques uniquement basés sur les services à l’énergie, dans le contexte d’une énergie peu chère. Ces services peuvent à ce stade surtout intéresser les grands consommateurs énergétiques et les collectivités, mais ces derniers disposent déjà de services « sur mesure » leur apportant une réponse adaptée.

En revanche, l’avènement du véhicule électrique et la progression constante attendue sur le prix de l’électricité, pourraient à terme marquer une rupture significative, en incitant les ménages et les entreprises à raisonner plus globalement sur leur consommation énergétique (bâtiment et transport), et permettraient ainsi l’émergence de services portant des valeurs nouvelles.

En allant un cran plus loin, dans un contexte de développement des objets connectés à la maison et de solutions de stockage individualisées, une porte s’ouvre à la conception de nouveaux services complexes et intégrés pour la maison et la gestion des bâtiments. Des services intégrés à forte valeur ajoutée – dans lesquels, finalement, le paiement de la facture énergétique et le choix du fournisseur ne deviendraient plus qu’un simple paramètre pour l’usager.

Cette première tendance préfigure une mutation profonde des activités des fournisseurs d’énergies via la transformation de leurs métiers, qui va bien au-delà de la simple digitalisation de la relation clients, vers la fourniture de services énergétiques globaux et complexes pour tous types de sites (du logement individuel au site industriel).

De nombreux acteurs pourront ainsi se positionner sur ces nouvelles offres élaborées, les opérateurs traditionnels bien-sûr, mais aussi les acteurs issus de l’internet qui disposent peut-être d’un meilleur capital culturel pour créer des services complexes autour de la donnée, et pourquoi pas aussi les collectivités qui pourraient proposer par exemple une offre intégrée autour des services publics locaux : énergie, transports, culture, etc. D’un point de vue réglementaire, une telle initiative semble encore complexe à mettre en œuvre au-delà des collectivités disposant d’une régie énergétique, sauf à mobiliser le droit à l’expérimentation.

La donnée de l’énergie est utilisée en pivot pour le développement de flexibilité et des boucles locales de l’énergie.

Dans la distribution d’énergie, les données sont déjà utilisées pour moderniser les systèmes de gestion et d’exploitation, et aussi renforcer les capacités de suivi et d’audit des concessions par les collectivités locales.

En revanche, l’usage des données pourrait être le moyen de développer de nouvelles formes de gestion et de distribution de l’énergie en particulier sur des mailles locales. Le développement des boucles énergétiques locales représente dans ce cadre une rupture potentiellement significative du modèle de distribution actuel.

Dans un tel système, producteurs locaux, consommateurs et distributeurs se coordonnent localement, en cohérence avec le transporteur, au sein d’une « place de marché » qui permet d’assurer les équilibrages de manière automatisée, en prenant en compte les contraintes financières et celles du réseau, et en actionnant des systèmes de flexibilité sophistiqués. La donnée n’est alors pas qu’une simple couche d’information permettant d’optimiser le réseau, mais elle devient l’élément pivot du système, partagée au sein d’une plateforme commune. Les expérimentations d’îlotage menées dans l’opération NiceGrid1 sont un bon exemple du développement possible de ces boucles énergétiques.

La définition des modalités de gouvernance d’une telle plateforme devient alors un enjeu majeur : qui la développe, qui l’anime, qui fixe les règles ? A qui appartiennent les données ? Bien entendu, il n’existe pas un seul mais plusieurs modèles de plateformes d’échanges, avec des gouvernances et des jeux d’acteurs possiblement différents.

Les acteurs traditionnels du transport et de la distribution ont le désir d’anticiper ces évolutions, qui s’inscrivent dans une progression logique de leurs activités. Les récents démonstrateurs Smart-Grids sur le développement de capacités de flexibilités en attestent. En revanche, l’émergence de ces « places de marché » pourrait également être à l’initiative d’autres acteurs : des acteurs publics, pouvant proposer la création de structures publiques ou mixtes et en assurant la gestion en local, ou plus directement la société civile avec le développement des systèmes fonctionnant sur le base d’une blockchain et favorisant le développement de l’autoconsommation, comme l’exemple de Brooklyn Grid2.

Tous ces systèmes peuvent bien entendu coexister et être concurrentiels, dans un cadre sans régulation claire à ce jour. Si l’expérimentation de ces systèmes est aujourd’hui possible, l’évolution du cadre réglementaire et des orientations données par la CRE seront demain déterminantes afin d’identifier les modèles qui seront véritablement viables.

La donnée de l’énergie devient un actif pour créer de la valeur en dehors du marché de l’énergie.

In fine, il semble nécessaire d’interroger l’usage des données de l’énergie au-delà de son secteur. A ce jour, les principales questions de valorisation des données sur l’énergie concernent des questions d’optimisation ou d’innovation dans les services à l’énergie. Le secteur innove avant tout pour lui-même et son marché actuel.

Mais ces données ne pourraient-elles pas être valorisées à d’autres fins ? Dans un contexte de généralisation et « d’universalisation » de l’accès aux données de l’énergie, et avec des niveaux de finesse très élevés grâce aux compteurs communicants, quelles pourraient être les innovations engendrées ?

Les données de consommation des appareils électriques pourraient permettre par exemple de détecter plus rapidement un défaut dans l’installation électrique d’un

logement ou d’un équipement électroménager. Ces données pourraient également aider à bâtir une vision affinée de l’occupation du logement ; une telle vue pourrait à terme aider à affiner un contrat d’assurance habitation, comme cela est le cas pour l’assurance automobile, en imaginant une offre du type « Pay as you live ». Les données des compteurs, disponibles en quasi temps-réel, pourraient alimenter des services de sécurité : anticipation des fuites de gaz, d’eau, amélioration des processus de sécurité civile, etc.

Dans un contexte de foisonnement des objets connectés (électroménager, Box, etc.) les possibilités de valorisation, au croisement de différents secteurs, vont nécessairement voir le jour – des possibilités qui peuvent aller bien au-delà de la facture énergétique.

Ces exemples, théoriques et prospectifs dans le cadre de cet article, illustrent des services et des usages plus complexes qui pourraient être créés pour les particuliers et la ville et qui mettent en lumière un potentiel jeu d’acteurs totalement différent de celui connu aujourd’hui (assureurs, services à la personne, etc.).

C’est sur l’ensemble de ces possibilités de « détournement des usages », et potentiellement de rupture, que les acteurs traditionnels de l’énergie ont un enjeu d’anticipation. Dans ce cadre, la collaboration avec des acteurs issus d’autres « cultures » devient un moyen d’accélérer le processus d’innovation et d’identifier des sources de diversification d’activités, en particulier pour les fournisseurs moins contraints par la régulation.

Bien entendu, ces perspectives d’usages, détournés et difficiles à anticiper, mettent naturellement sur le devant de la scène les questions de sécurisation de la donnée et des échanges. Mais, elles peuvent inciter à développer des systèmes d’ouverture et de partage des données maîtrisées par les citoyens, comme l’initiative « Green Button3 » aux États-Unis.

Finalement, cette réflexion prospective pourrait s’ouvrir avec la question suivante : « mais que vont proposer les GAFA avec vos données sur l’énergie ? ». Certains signaux faibles peuvent-être interprétés à ce sujet : l’intégration récente de la caméra dans la technologie NEST de Google et son articulation progressive autour du « Google Assistant » et du « Google Home4», montre cette dynamique d’usage des données de l’énergie dans le contexte plus large des services pour l’habitat.

En synthèse

La transformation digitale du secteur de l’énergie par la donnée n’est encore qu’à ses débuts. Il s’agit principalement aujourd’hui d’optimiser les processus et les façons de faire actuels, à travers un usage massif de la donnée. Demain, cet usage pourrait entraîner des ruptures plus fortes dans les modèles économiques des acteurs traditionnels et favoriser l’émergence de nouveaux acteurs en meilleure capacité de valoriser cette matière première. De manière plus prospective, les données de l’énergie pourraient aussi être utilisées par d’autres acteurs pour des usages « détournés », mais pouvant porter des valeurs importantes.

Dans ce contexte, le partage de la donnée sur l’énergie pose une équation complexe nécessitant de jongler entre « protectionnisme » et accélération de l’innovation.

Pour les industriels de l’énergie, il s’agit d’abord de relever le challenge industriel interne pour la pleine valorisation des données et la protection de l’actif. Ensuite, il s’agit d’anticiper au mieux les ruptures de modèles et de se positionner le plus en amont possible dans cette mutation, en tant qu’intégrateur de services à forte valeur ajoutée. Ceci passe notamment par une courbe d’apprentissage par l’expérimentation et de nouvelles formes de collaboration permettant une innovation ouverte avec des acteurs issus d’autres cultures.

Pour les collectivités territoriales, dans un contexte où elles accèdent de plus en plus à ce patrimoine de données, il s’agit de relever un challenge « d’ingénierie » pour la bonne valorisation de ce capital sans se faire prendre de vitesse par d’autres fournisseurs de services. Par ailleurs, à travers le développement de politiques intégrées en matière de gestion des données territoriales, les collectivités peuvent infléchir sur les dynamiques d’innovation, en forçant des approches plus ouvertes. Mais elles peuvent également se positionner comme acteur plus central des ruptures à venir en prenant directement à leur charge le développement de certains services innovants pour la gestion énergétique.

Pour les nouveaux entrants, dans un contexte de foisonnement des sources de données et d’usages sans-couture, il s’agit d’apporter leurs innovations à des acteurs traditionnels et aux collectivités. Néanmoins, bien que l’écosystème s’ouvre progressivement, le secteur reste très réglementé, incitant à des approches prudentes dans les processus d’innovation, et sans doute prioritairement orientées vers un usage « détourné » des données de l’énergie.

Pour le législateur et les régulateurs, de l’énergie et de l’information, les décisions et orientations qui seront prises dans les années à venir auront des conséquences fortes sur le développement du secteur. Des équilibres de plus en plus complexes, entre la garantie d’intérêts publics et la libération des capacités d’innovation, devront être définis. Ces équilibres peuvent aussi s’inscrire dans une ambition d’exporter des savoir-faire développés et expérimentés en France.

Ainsi, dans un contexte mouvant, potentiellement de rupture, l’innovation et l’expérimentation sont fondamentales afin de pouvoir anticiper au mieux les ruptures à venir. Cela nécessite de veiller à la performance des processus d’innovation mis en place, la qualité des projets d’expérimentation développés, la préparation technique, économique et réglementaire du passage à l’échelle des projets et la pertinence des réseaux d’acteurs d’innovation construits.

1 http://www.nicegrid.fr/nice-grid-l-ilotage-12.htm

2 http://brooklynmicrogrid.com/

3 http://www.greenbuttondata.org/

4 http://www.theverge.com/2016/8/30/12716326/alphabet-google-home-nest-developers-smart-home

À propos de Yélé Consulting

Yélé Consulting est un cabinet de conseil spécialisé dans la transformation numérique et la transition énergétique des territoires et des Utilities. Grâce à notre expertise Smart Grids et Smart Cities, nous accompagnons nos clients, acteurs du secteur de l’énergie et collectivités territoriales, dans leurs programmes d’expérimentations et d’industrialisation Smart Grids, dans la valorisation des données énergétiques à l’échelle d’un territoire, et dans le développement de services urbains innovants et de nouveaux usages intégrés au réseau électrique. Créé en 2010, Yélé compte aujourd’hui près de 60 collaborateurs issus de parcours professionnels au croisement des filières énergétique et numérique. Yélé est membre de l’association professionnelle Think Smartgrids et du pôle de compétitivité Systematic Paris-Region dédié au numérique.