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Hydrogène renouvelable et bas-carbone : quels leviers technico-économiques pour accélérer le développement de ce nouveau vecteur énergétique prometteur ?

L’hydrogène cristallise les espoirs d’une multitude d’acteurs dans la lutte contre le dérèglement climatique. Considéré comme un levier pour une relance économique dans un contexte post-Covid, de nombreux pays en Europe et dans le monde ont décidé d’investir massivement dans cette filière. Cet engouement touche également le secteur privé, où de nombreux acteurs industriels décident de se mobiliser pour rejoindre le mouvement.

Bien que prometteur, l’hydrogène reste un vecteur énergétique aujourd’hui très carboné. Sur les 70 millions de tonnes d’hydrogène produites annuellement dans le monde1, plus de 95% le sont à partir de ressources fossiles (notamment le vaporeformage de méthane et la gazéification du charbon). L’électrolyse de l’eau à partir d’une source électrique décarbonée (renouvelable ou bas-carbone) est considérée comme une véritable opportunité pour diminuer d’un facteur 10 l’empreinte carbone de l’hydrogène (aujourd’hui de l’ordre de 10 à 20 kgCO2/kgH22).

Néanmoins, la production d’hydrogène décarboné n’est pas encore viable économiquement et présente un coût 3 à 5 fois plus élevé que la production carbonée (aux alentours de 1,5 €/kg3). Il convient donc d’identifier les leviers (technico-économiques, réglementaires, …) à activer pour améliorer la viabilité économique des projets de production d’hydrogène renouvelable et bas-carbone. Cette équation économique soulève la question suivante :
Au-delà de l’engouement de ces derniers temps, quel rôle concret pourrait jouer ce vecteur énergétique dans la décarbonation de l’économie de demain (industrie, mobilité, sector coupling, etc.) ?

Une modélisation multi-énergies de la chaîne de valeur de l’hydrogène

Nous proposons d’adopter une approche technico-économique pour répondre à cette problématique. Dans cette série d’articles sur les modèles économiques des projets hydrogène, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : quels sont les paramètres technico-économiques clés pour un projet hydrogène ? Quels sont les leviers les plus efficaces pour améliorer la viabilité économique des projets ? Quel intérêt de développer des écosystèmes territoriaux d’hydrogène ?

Cette approche se base sur un outil d’optimisation technico-économique des projets Power-to-X développé par Yélé Consulting, qui permet d’analyser plusieurs scénarios de valorisation du H2 et du méthane de synthèse (injection dans les réseaux, valorisation en industrie et usage mobilité) [Figure 1]. Cet outil d’aide à la décision a vocation à étoffer la vision stratégique des acteurs énergétiques souhaitant étudier les grandes tendances de l’hydrogène décarboné, mais aussi à concrétiser certains projets Power-to-X grâce à sa modélisation opérationnelle.

Les différentes chaînes de valeurs modélisées dans l’outil sont comme suit :

Yélé a développé un outil d’optimisation technico-économique des projets Power-to-X, qui permet d’analyser plusieurs scénarios de valorisation du H2 et du méthane de synthèse. Les différentes chaînes de valeurs modélisées dans l’outil sont comme suit.
Figure 1. Modélisation technico-économique de la chaîne de valeur Power-to-X – ©Yélé Consulting

Répartition des coûts d’un projet hydrogène décarboné : l’importance du coût de fourniture en électricité

Afin d’identifier les facteurs technico-économiques les plus influents sur un projet hydrogène, il convient de commencer par analyser la structure globale des coûts du projet. Nous distinguons d’ores et déjà deux principaux postes de coûts, à savoir les équipements (électrolyseur, méthaneur, stockage, …) et le coût de fourniture en électricité décarbonée. Selon le cas étudié, la fourniture en électricité décarbonée représente environ 50 à 70% du coût total de production de l’hydrogène [Figure 2]. À titre d’exemple, un coût de fourniture de l’électricité à 45 €/MWh représente environ 60% du coût total de production de l’hydrogène (Levelized Cost of Hydrogen ou LCOH, en €/kg).

La structure des coûts d’un projet hydrogène produit par électrolyse d’électricité renouvelable
Figure 2. La structure des coûts d’un projet hydrogène produit par électrolyse d’électricité renouvelable

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les économies d’échelle espérées – au niveau des CAPEX – par une massification de la production restent insuffisantes pour assurer la viabilité économique des projets H2. Le coût d’approvisionnement en électricité décarbonée reste donc le principal paramètre stratégique pour améliorer la compétitivité de la production d’hydrogène renouvelable et bas-carbone.

Au-delà des problématiques de production, nous proposons une série d’articles mettant chacun un cas d’usage à l’honneur (représentatifs de plusieurs projets et démonstrateurs H2 en France et en Europe) :

  • Le Power-to-Gas (inclut le power-to-H2 et le power-to-CH4) : l’hydrogène et/ou le méthane de synthèse produit est injecté dans le réseau de gaz naturel ;
  • Le Power-to-Industry : l’hydrogène produit est valorisé directement au niveau d’une industrie locale ;
  • Le Power-to-Mobility : l’hydrogène produit est valorisé directement au niveau d’une station de recharge.

Cas d’usage 1 – Le Power-to-Gas et l’injection dans les réseaux de GN

Plusieurs projets Power-to-Gas ont vu le jour ces dernières années en France et en Europe : c’est le cas notamment des projets GRHYD (injection d’H2 dans le réseau de GRDF) et Jupiter1000 (injection d’H2 et de méthane de synthèse dans le réseau de GRTgaz). L’objectif de cette première étude de cas est d’étudier la rentabilité économique des projets Power-to-Gas (i.e. avec une injection dans les réseaux de GN de la totalité de l’hydrogène et/ou du méthane de synthèse produit) et d’analyser les leviers (techniques, économiques, réglementaires, …) permettant d’accélérer le déploiement de ces projets.

La modélisation de cette chaîne de valeur consiste en un électrolyseur PEM (à Membrane Echangeuse de Protons) alimenté par une centrale PV (située en région PACA avec un ensoleillement moyen de 2750 h/an) permettant de produire de l’hydrogène renouvelable. L’hydrogène ainsi produit peut soit être injecté directement dans les réseaux de gaz (en respectant une limite d’injection de 6% d’H2 en volume), soit couplé avec une brique de méthanation pour produire du méthane de synthèse (à partir d’hydrogène et de CO2). Pour la valorisation économique du H2 et du méthane de synthèse produits, et en l’absence de tarifs d’achat dédiés, nous prenons comme hypothèse un prix de valorisation fixe de 100 €/MWh (de l’ordre de 3,5 €/kg). Il est à noter que, selon la taille de l’installation, le tarif d’achat du biométhane est compris entre 64 et 139 €/MWh4.

Le besoin d’un mécanisme de soutien dédié basé sur un complément de rémunération

L’analyse de ce cas d’usage montre qu’un projet de Power-to-Gas n’est pas viable économiquement en considérant les données technico-économiques actuelles. Des subventions et des aides dédiées sont donc nécessaires pour accompagner le déploiement de ce type de projets. En particulier, un mécanisme de soutien basé sur un complément de rémunération (en €/kg) nous semble être le plus pertinent dans les conditions du marché actuel afin de sécuriser les revenus des projets et d’améliorer la compétitivité de l’hydrogène décarboné.

Figure 3. Influence du complément de rémunération sur la rentabilité d’un projet P2G
(valorisation à 3,5 €/kg, LCOH de 6,8 €/kg)

La rentabilité du projet est atteinte lorsque la valorisation économique de l’hydrogène (Levelized Value of Hydrogen, ou LVOH) dépasse son coût de production (LCOH). Selon le projet étudié, cela est possible avec un complément de rémunération de l’ordre de 3,5 €/kg, soit 100% du prix de valorisation envisagé.

Ce complément de rémunération peut notamment être assuré par un mécanisme de marché (de type Garantie d’Origine/Garantie de traçabilité) qui permettrait d’assurer un Premium (en €/kg) en complément du prix de commercialisation de l’hydrogène.

Impact de la limite d’injection sur la rentabilité des projets P2G

Il est important de rappeler que d’un point de vue économique, l’injection directe d’hydrogène est plus intéressante que la production et l’injection de méthane de synthèse : l’ajout d’une brique de conversion énergétique augmente les coûts et diminue le rendement sur toute la chaîne de valeur. Ceci explique les réflexions des différents acteurs autour de la limite technique et réglementaire d’injection de l’hydrogène dans le réseau de gaz naturel et son rôle dans l’amélioration de la viabilité économique des projets.

Pour comprendre l’influence de la limite d’injection d’hydrogène dans le réseau sur la rentabilité économique des projets, nous avons réalisé une analyse de sensibilité sur ce paramètre en le faisant varier entre 6 et 20%5. Ces limites sont notamment inspirées des recommandations des opérateurs français d’infrastructures gazières sur les conditions techniques et économiques d’injection de l’hydrogène dans les réseaux existants de GN.

Comme le montre le graphique ci-contre, augmenter cette limite d’injection de 6 à 20% permet de diminuer de 45% le LCOH du projet, et donc d’améliorer considérablement la rentabilité économique des projets P2G ayant une grande capacité d’injection.

Figure 4. Influence de la limite d’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz naturel sur la rentabilité d’un projet P2G

Dans la suite de cette série d’articles, nous vous proposerons un retour sur 2 autres cas d’usages (power-to-industry et power-to-mobility) à travers lesquels nous allons analyser d’autres paramètres technico-économiques (taux de charge de l’électrolyseur, intermittence des énergies renouvelables, stockage géologique, …). Les résultats de ces études de cas seront publiés prochainement.

Vous pouvez également consulter ici notre analyse des différentes stratégies et roadmap hydrogène publiées en Europe et dans le monde.


1 The Future of Hydrogen – Analysis – IEA, 2019
2 Documentation Base Carbone (ademe.fr)
3 The Future of Hydrogen – Analysis – IEA, 2019
4 Tarifs et garanties d’origine sur la vente du biométhane – GRDF.FR
5 Conditions-techniques-economiques-injection-hydrogene-reseaux-gaz-rapport-2019.pdf (elengy.com)


Auteur : Loic UMBRICHTÉtudiant ingénieur à l’école des Ponts ParisTech spécialisé dans la modélisation mathématique et l’énergie

Auteur : Antoine SIMIONESCO – Consultant spécialisé dans la décarbonation du secteur énergétique

Manager : Sami GHARDADDOU – Référent sur la filière hydrogène