Sous l’impulsion des constructeurs automobiles comme Renault ou Tesla et des offres de services d’autopartage, le secteur de la mobilité électrique est en plein développement. Néanmoins, certaines barrières freinent encore l’adoption du véhicule électrique par le plus grand nombre, en particulier la complexité d’accès à la recharge.
Les freins au développement de la mobilité électrique
Lors de la présentation de son plan climat en juillet, Nicolas Hulot a annoncé viser la fin de la vente des voitures à essence et diesel d’ici à fin 2040 en France. Le nombre de véhicules électriques immatriculés chaque année en France ne cesse d’ailleurs de croître de manière exponentielle, même si le chiffre de 21 800 véhicules électriques immatriculés en 2016 reste faible comparé aux plus de 2,2 millions d’immatriculations réalisées chaque année en France1.
En effet, le véhicule électrique, malgré son attractivité et son rôle important dans la transition énergétique, fait face à de multiples obstacles qui restent pour l’instant trop importants pour permettre une pénétration massive sur le marché. Parmi les principaux obstacles, on retrouve : les problématiques liées à la capacité du réseau électrique à répondre à la demande des véhicules électriques en énergie et en puissance ; la faible autonomie des batteries ; la complexité de la recharge pour les usagers.
Cette dernière difficulté se matérialise par deux principales limites :
- Le temps nécessaire pour effectuer sa recharge : autour de 30 minutes sur les bornes rapides pour une autonomie de 300 kilomètres environ2. Cela réserve l’utilisation du véhicule électrique aux trajets courts ou aux usagers les plus patients ;
- Le nombre élevé d’opérateurs de recharge différents, qui permettent l’utilisation de leurs bornes de recharge en les rendant accessibles au public, obligent les utilisateurs à bien planifier leur trajet. Même s’il est possible de trouver facilement des bornes de rechargement accessibles au public, il est nécessaire d’avoir un compte client chez chaque opérateur pour utiliser leurs bornes ;
La première problématique est déjà étudiée par les constructeurs automobiles, les constructeurs de bornes, les constructeurs de batteries ainsi que par les autres fournisseurs de services de mobilité.
En France et en Europe, la seconde problématique est traitée par des acteurs, comme la plateforme Gireve, positionnés comme intermédiaires entre les opérateurs de mobilité (par exemple, les sociétés proposant des services d’auto partage) et les opérateurs de recharge. Ils permettent aux usagers d’utiliser plus facilement les infrastructures de recharge en proposant un point d’accès unique à une multitude d’abonnements.
La prochaine étape consiste à rendre l’utilisation des infrastructures de recharge la plus flexible, attractive et transparente possible pour l’usager. Ainsi, plusieurs questions apparaissent :
- Comment facturer la recharge d’un véhicule électrique de manière unique à l’usager ?
- Comment donner à l’usager la possibilité de favoriser une source d’énergie plutôt qu’une autre ? Par exemple, un usager peut être soucieux de ne consommer que de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables.
La blockchain comme réponse à ces nouveaux besoins ?
Facturer la recharge d’un véhicule électrique de manière unique se présente selon le scénario suivant : un usager souhaite pouvoir brancher son véhicule électrique, le recharger selon ses besoins puis payer exactement l’électricité consommée directement à son fournisseur d’électricité. Ce paiement doit être réalisé en toute sécurité et sans avoir besoin de souscrire à de multiples abonnements pour accéder aux bornes de recharge.
Pour donner à l’usager la possibilité de favoriser une source d’énergie, il s’agit d’assurer la traçabilité de l’électricité produite et consommée. Il est important, pour un consommateur qui voit l’utilisation du véhicule électrique comme un acte écologique, de savoir comment l’électricité qu’il consomme a été produite. En effet, de nombreux usagers souhaitent favoriser les énergies propres, notamment les énergies renouvelables et souhaitent rouler avec une électricité verte.
La blockchain semble adaptée pour répondre à ces deux problématiques de facturation et de traçabilité.
Qu’est-ce que la blockchain ?
Une blockchain peut être vue comme un livre de compte digitalisé qui retrace toutes les transactions effectuées par des utilisateurs. Ce livre digital est partagé, mis à jour et validé par tous les membres : vous, votre voisin, n’importe qui à travers le monde ou un objet connecté. C’est le principe de l’informatique distribuée qui empêche un utilisateur de prendre une décision sans l’accord de la majorité des autres utilisateurs. La cryptographie permet d’assurer la cohérence des informations qui sont échangées. De plus, chaque utilisateur est identifié par le biais d’un identifiant unique et personnel (une « clé privée »). Ainsi, ce système de contrôle distribué et sécurisé protège les transactions de toutes modifications ou suppressions « involontaires », davantage qu’un système d’information centralisé, car il est partagé entre tous les utilisateurs.
Architecture centralisée vs. distribuée
En plus d’enregistrer des transactions, une blockchain propose également de personnaliser la manière dont ces transactions sont conduites. Il s’agit des « Smart Contracts », programmes exécutés dans la blockchain et qui permettent notamment d’automatiser une transaction à la suite d’un événement particulier (par exemple, le changement de disponibilité d’une borne de recharge ou la fin du chargement d’un véhicule électrique).
La question qui se pose alors est la suivante : quelles sont les applications de la blockchain et des Smart Contracts qui permettent de répondre aux problématiques complexes de la facturation et de la traçabilité ?
Faciliter le processus de facturation
Un usager pourra s’identifier – par exemple à l’aide de son smartphone – avant de brancher son véhicule et de commencer sa recharge. À la fin de la recharge et grâce à l’utilisation d’un Smart Contract, le montant correspondant à l’électricité consommée sera transféré automatiquement du compte de l’utilisateur vers le compte de son fournisseur d’électricité, de l’opérateur de recharge et de tout autre acteur ayant permis celle-ci.
En effet, l’utilisation de clés cryptographiques, grâce auxquelles un utilisateur est identifié, permet de lui garantir qu’il paye effectivement sa consommation au fournisseur avec lequel il a contracté son forfait. De plus, l’architecture distribuée lui permettra d’exécuter et de confirmer la transaction financière en toute sécurité. La consommation d’électricité et son paiement seront stockés dans la blockchain sans aucune possibilité de les supprimer ni de les falsifier, offrant les preuves nécessaires à tous les acteurs de la transaction qui vient d’avoir lieu. La consommation de la voiture apparaîtra sur la même facture que celle de son logement, offrant plus de clarté à l’usager.
Ce concept est extensible. En effet, les Smart Contracts permettent de définir des engagements qui s’exécutent automatiquement lorsque des conditions prédéterminées sont réunies. Ces conditions peuvent être issues d’une simple configuration ou de données extérieures à la blockchain grâces aux « oracles ». Les oracles sont des programmes qui sont capables d’observer des éléments externes à la blockchain puis d’activer des conditions spéciales d’exécution d’une transaction sur celle-ci selon ces éléments. Un particulier pourra ainsi décider d’offrir l’utilisation d’une borne à sa famille et à ses amis ou un opérateur de recharge pourra proposer des prix plus avantageux lorsque la part du renouvelable est plus importante dans le mix énergétique…
Fiabiliser la traçabilité de l’électricité consommée
Pour un utilisateur soucieux de ne consommer que des énergies renouvelables, il est possible de représenter un kWh d’électricité verte sous forme digitale puis de le stocker dans une blockchain. Il serait possible de demander puis de s’assurer que l’équivalent de chaque kWh consommé par son véhicule ou sa borne a effectivement été produit à partir d’énergies renouvelables puis injecté sur le réseau, simplement en interrogeant la blockchain puis en empêchant que ce kWh soit à nouveau réclamé. Le processus de certification et de traçabilité serait garanti et sécurisé par les propriétés intrinsèques de la blockchain : infalsifiable, publique, non-répudiable.
L’utilisation de la blockchain n’est pas (encore) la réponse parfaite
Malgré les solutions enthousiasmantes proposées par la blockchain pour améliorer l’expérience d’un usager de véhicule électrique, des barrières subsistent et ne trouveront pas leur solution dans la mise en place d’un simple registre partagé, aussi performant soit-il.
Tout d’abord, le mécanisme des Garanties d’Origine, dont la finalité est d’assurer la traçabilité de l’électricité verte de sa production à sa consommation, présente des limites qui le rendent inadapté dans le cas de la mobilité électrique : la maille de certification minimum, en France et en Europe, est de 1MWh. Elle n’est pas adaptée au modèle de consommation du véhicule électrique et le système n’est pas encore prêt à accueillir des schémas de production et de consommation décentralisés.
Ensuite, des règles d’interopérabilité à l’échelle nationale et internationale doivent être mises en place pour permettre aux acteurs de la mobilité électrique et aux fournisseurs d’électricité de communiquer, d’échanger des données et d’opérer leurs activités de manière uniformisée.
D’un point de vue technique, la volumétrie de données à stocker et la puissance de calcul nécessaires à la bonne tenue du livre de compte constituent des barrières fortes à l’entrée pour des objets connectés comme une borne ou un compteur. Des techniques visant à répartir le contenu du livre de compte entre les utilisateurs sans compromettre la sécurité de la blockchain ou des clients « légers » qui permettent d’insérer des transactions sans avoir à valider le livre de compte sont des solutions étudiées, mais elles n’ont pas encore atteint un niveau de maturité satisfaisant.
Au-delà de ces limites, des questions de fond restent à traiter :
- Qui doit porter la responsabilité de ce réseau interconnecté de bornes de recharges et des applications décrites ci-dessus ?
- Quels sont les impacts sur la facture d’électricité et la part correspondant à sa distribution dans un monde où le consommateur n’est plus uniquement vu par le biais de son point de livraison d’électricité mais par son utilisation du réseau à travers la France et l’Europe ?
- Malgré les avantages en termes de sécurité et de traçabilité, la pertinence technique et financière d’utiliser une blockchain plutôt qu’un système d’information « classique » doit être estimée au cas par cas, application métier par application métier.
La capacité de la blockchain à devenir plus qu’un concept très intéressant reste donc à prouver malgré son potentiel. Il est important de ne pas oublier que la technologie doit être au service des utilisateurs, et non l’inverse. Tous les acteurs du secteur (opérateurs de recharge, usagers, gestionnaires de réseau et opérateurs de mobilité) doivent donc être impliqués afin de construire des services pertinents et intéressants avant de véritablement statuer sur les apports de la blockchain pour la mobilité électrique et le secteur de l’énergie en général. Cette approche fonctionnelle est celle qui permettra d’identifier la meilleure solution technique d’implémentation pour répondre aux défis de la mobilité électrique.
À propos de Yélé Consulting
Yélé Consulting est un cabinet de conseil spécialisé dans la transformation numérique et la transition énergétique des territoires et des Utilities. Grâce à notre expertise Smart Grids et Smart Cities, nous accompagnons nos clients, acteurs du secteur de l’énergie et collectivités territoriales, dans leurs programmes d’expérimentations et d’industrialisation Smart Grids, dans la valorisation des données énergétiques à l’échelle d’un territoire, et dans le développement de services urbains innovants et de nouveaux usages intégrés au réseau électrique. Créé en 2010, Yélé compte aujourd’hui près de 60 collaborateurs issus de parcours professionnels au croisement des filières énergétique et numérique. Yélé est membre de l’association professionnelle Think Smartgrids et du pôle de compétitivité Systematic Paris-Region dédié au numérique.