Contexte et cadre législatif
La loi européenne sur le climat, entrée en vigueur en 2021, engage l’Union européenne à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction d’au moins 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990. Pour concrétiser cette trajectoire, le paquet législatif « Fit for 55 » (ou ajustement à l’objectif 55) est en cours de déploiement pour soutenir la décarbonisation.

L’amendement 2040 : un nouveau jalon climatique essentiel
Avec l’objectif 2040, la Commission européenne propose d’inscrire dans la loi un objectif de réduction d’au moins 90 % des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2040 (toujours par rapport à 1990). Ce seuil est jugé indispensable pour espérer atteindre la neutralité carbone en 2050. Il s’appuie sur une analyse d’impact du Conseil scientifique consultatif européen sur le changement climatique (ESABCC) et du GIEC et répond à l’exigence de l’Accord de Paris de fixer une nouvelle étape après le bilan mondial de 2023. Selon le Conseil scientifique, « moins 90% d’émissions de GES est le minimum pour que l’UE puisse atteindre la neutralité carbone en 2050 ».
Idéalement le calendrier associé est une présentation à la COP30 (Belém, Brésil, novembre 2025) et une adoption attendue après un vote du Conseil et du Parlement européen à l’automne 2025.
Enjeux et investissements pour la décarbonisation de l’économie
Chiffres clés
Secteur | Investissements annuels estimés | % du PIB UE |
Déploiement des technologies dans le système énergétique | 660 milliards € | 3,2% |
Secteur des transports | 870 milliards € | 4,2% |
Atteindre -90 % nécessitera des investissements massifs dans les technologies propres, moteur de la décarbonisation : hydrogène, captage et stockage du carbone, électrification des usages, rénovation des bâtiments et transformation des transports. La Commission chiffre ces besoins à plusieurs centaines de milliards d’euros par an, mais souligne que l’inaction coûterait tout autant, voire plus, au vu des dommages économiques déjà causés par le dérèglement climatique.
- Coût de l’inaction : Les dommages climatiques en Europe ont déjà coûté 170 milliards € sur 5 ans. L’inaction serait aussi coûteuse, voire plus, que la transition.
- Économies attendues : Jusqu’à 100 milliards $/an d’économies sur les importations de pétrole grâce à la décarbonation du secteur énergétique et des transports.
- La réduction des émissions et le passage à des énergies propres contribueront également à réduire la dépendance de l’Europe à l’égard des combustibles fossiles, qui représentaient plus de 4 % du PIB en 2022, selon l’exécutif européen.
Secteurs concernés et leviers technologiques
- Industrie lourde : Sidérurgie, ciment, chimie, raffinage. Besoin de solutions de captage, stockage et utilisation du carbone (CCS/CCU), électrification, hydrogène bas-carbone. – élimination du carbone dans l’industrie entre 2031 et 2040.
- Transports : Objectif de véhicules zéro émission d’ici 2035, électrification des flottes, taxation accrue des carburants fossiles, objectifs pour camions, navires et aviation.
- Bâtiments : Rénovation énergétique massive, électrification du chauffage, développement des réseaux de chaleur renouvelable.
- Agriculture et déchets : Réduction des émissions non-CO₂, valorisation du carbone biogénique, développement de l’agriculture bas-carbone.
Technologies stratégiques
Les investissements iront dans des technologies propres – de réduction des émissions de carbone :
- Hydrogène vert : Production par électrolyse, déploiement dans l’industrie et les transports lourds.
- CCS/CCU et EDC : Développement de réseaux de transport et de stockage du CO₂, intégration progressive dans le système ETS, certification des absorptions permanentes.
- Énergies renouvelables et nucléaire : Neutralité technologique affirmée, reconnaissance du rôle du nucléaire pour répondre aux exigences françaises, développement massif des renouvelables (solaire, éolien, géothermie)
Flexibilités et concessions politique : rallier les 27 autour de l’objectif 2040
Face aux résistances de plusieurs États membres, que nous étudierons à la partie suivante, la Commission introduit trois flexibilités majeures :
Crédits carbone internationaux
« 3 % des émissions par rapport au volume émis en 1990, cela fait un tiers des émissions de l’UE en 2040 », Pascal Canfin, eurodéputé
Jusqu’à 3 % de l’objectif 90% (soit environ 150 MtCO₂eq, si chaque états membres de l’UE dépenser jusqu’à 10 milliards d’€ par an pour les revendiquer) pourra être atteint via des crédits carbone internationaux à partir de 2036, issus de projets certifiés hors UE (restauration forestière, énergies propres, etc.).
Les secteurs d’activité qui ne parviennent pas à faire baisser suffisamment leurs émissions pourront transférer leurs émissions en excès à des pays tiers, souvent des pays en voie de développement, en finançant des projets de décarbonation industrielle ou de stockage temporaire du carbone dans les sols par exemple.
Encadrement prévu : Critères de qualité stricts, alignement sur l’Accord de Paris (article 6), certification onusienne, lutte contre le double comptage
Critique :
- Risque de détourner des investissements hors d’Europe, affaiblissant la transformation industrielle locale.
- Risque de gonfler les financements Nord-Sud : le coût d’abattement de la tonne de CO2 en Europe est à un niveau plus élevé que dans les pays du Sud ➔ plus forte demande pour financer dans les pays du sud où ces projets sont moins onéreux
- Problèmes de crédibilité et d’intégrité environnementale, scandales passés sur la qualité des crédits.
- Les ONG et le Conseil scientifique européen recommandent de limiter, voire d’exclure, ces crédits pour garantir l’impact réel sur la décarbonation européenne. En effet, le Conseil scientifique recommande un objectif entre 90 et 95% d’ici 2040, sans crédit carbone étrangers.
Cependant, avec le climat politique actuelle européen et l’impulsion de la droite, le chiffre de 3% pourrait augmenter.

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Captage et stockage du carbone
Suppressions permanentes de CO2 grâce au captage (directement dans l’air ou à partir de centrales électriques à biomasse) et au stockage (par exemple dans des gisements de gaz offshore épuisés) → quotas d’émissions dans le cadre du système européen de plafonnement et d’échange de quotas d’émission de carbone (SEQE ou ETS selon l’acronyme anglais).
Intérêt pour les industries lourdes / compagnies aériennes soumises à un plafond d’émissions
Compensation intersectorielle
Les secteurs en avance / dépassant leurs objectifs climatiques (ex. : électricité) pourront compenser ceux en retard (ex. : transport routier, logement), pour optimiser le coût global de la transition
Neutralité technologique
Reconnaissance explicite du nucléaire et des renouvelables comme solutions équivalentes pour la décarbonation, afin de satisfaire les exigences françaises et garantir la souveraineté énergétique.
Gouvernance : entre réticences et ambiguïté des 27
« Ne nous surcontraignons pas » « Si on a un objectif 2040 pour Belém, super ; si cela doit prendre plus de temps, prenons-le. » E. Macron, Bruxelles, 26 juin 2025 au Conseil Européen
Dix ans après la signature de l’accord de Paris, les résistances à une feuille de route « verte » n’ont jamais été aussi fortes, y compris dans le camp chrétien-démocrate du Parti Populaire Européen (PPE), qui constitue actuellement la première force politique en Europe.
- Soutiens : Espagne, Danemark (présidence tournante pour 6 mois), Allemagne
(proposition alignée aux exigences de la coalition du nouveau gouvernement). - Réserves ou opposition : Hongrie, République tchèque, Italie (préférant -80 à -85 %),
France (ambivalente, exigeant des garanties sur la décarbonation industrielle et la place
du nucléaire). - Critiques des ONG : elles dénoncent la tentation de « crédits de compensation » qui
pourraient réduire l’ambition réelle de l’UE
C’est à la suite de ces réticences, qu’ont été introduites les flexibilités énoncées plus tôt pour tenter de rallier les 27 autour de l’objectif.
Gouvernance : calendrier et perspectives
Mise en œuvre : Nouvelles législations attendues (« Fit for 90% », prévu pour le 2nd semestre de 2026), intégration progressive des technologies d’élimination du carbone, renforcement des incitations fiscales et des financements européens (Horizon Europe, Fonds d’innovation)
Prochaines étapes :
- Réunion informelle des ministres de l’Environnement (10-11 juillet 2025),
- Vote du Conseil (18 septembre 2025),
- Transmission au Parlement européen,
- Objectif d’adoption avant la COP30
Point de vigilance pour Yélé
Vigilances
- Complexité réglementaire et conformité : suivre de près les évolutions des normes
- Rentabilité et financement des projets : volatilité des coûts d’investissement, intégrer les nouveaux mécanismes de compensation etc
Opportunités :
- Accompagnement à la décarbonation (stratégie & opérationnel, mise en œuvre de feuille de route intégrant les exigences européennes)
- Déploiement de solutions technologiques innovantes (pour optimiser la performance énergétique des clients)
- Montage et financement de projets (identification et mobilisation des dispositifs européens / structuration projets complexes)
- Transformation numérique et data énergie (plateforme de pilotage / fiabilisation / valorisation / gestion intelligente)
- Formation et conduite du changement (sensibilisation, formation et accompagnement pour l’adoption des nouveaux outils et la réussite des transitions)
- Positionnement – Marchés émergents : valoriser les interventions internationales (Europe / Afrique / Asie) et les savoir-faire yélé – en phase avec les sujets relevés par les objectifs 2040
Rédacteur : Laure THEVENET
Bibliographie
- Loi européenne sur le climat: une nouvelle voie à suivre pour atteindre les objectifs à l’horizon 2040 – Commission Européenne
- L’UE vise une réduction de 90 % des émissions d’ici 2040 — voici les points à retenir – EURACTIV
- ChangeNOW : les défis d’une eau pure – Les Echos
- Macron réclame un délai pour fixer l’objectif climatique UE 2040 – Montel News
- Climat : l’UE propose des flexibilités autour de son objectif 2040. – L’info durable
- L’UE fixe un objectif climatique de 2040 90 %. – ESG News
- Climat : L’objectif 2040 de l’UE sérieusement affaibli par le recours aux crédits carbone – Transport & Environment (T&E) France
- Objectif pour 2040 – CLIMAT.BE