Skip to content Skip to footer

Où en sont les industriels français dans la décarbonation de leurs activités ?

Analyse des accélérateurs et freins pour relever le défi de taille de la décarbonation des industriels.

Dans un contexte de dérèglement climatique aux effets de plus en plus visibles et violents, la décarbonation s’installe au centre des débats avec pour objectif une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’industrie, qu’elle soit manufacturière ou extractive, est l’une des principales émettrices de CO2 (avec en tête la pétrochimie, la métallurgie et les matériaux de construction à cause de procédés de production énergivores et une utilisation massive de ressources fossiles).

Elle représente 20% des émissions de GES en France. Et les 50 plus grands sites concentrent d’ailleurs 60% des émissions de l’industrie. La décarbonation de l’industrie sera donc clé pour atteindre les objectifs ambitieux fixés par les accords internationaux, européens et nationaux, d’autant plus pour la France qui soutient une politique de réindustrialisation. La décarbonation pour les industriels est un levier indispensable pour maintenir un monde soutenable.

L’UE renforce sa règlementation autour de la décarbonation des industriels pour s’aligner avec les objectifs mondiaux de réduction des émissions de GES et se positionne ainsi en leader sur le sujet

L’État français a transposé les nouveaux objectifs européens du Fit for 55 dans sa stratégie nationale bas carbone (SNBC 3), votée fin 2023. Elle fixe un objectif de réduction de 35% des émissions de CO2 de l’industrie d’ici 2030 et 81% d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2015.

En complément, l’UE a mis en place une nouvelle directive européenne : la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), applicable depuis le 1er janvier 2024, pour rediriger les investissements actuels vers une finance plus durable. L’UE exige à travers la CSRD une plus grande transparence des acteurs économiques avec la publication obligatoire d’un reporting de durabilité, qui porte sur les données ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance). À partir du 1er janvier 2026 (exercice 2025), la CSRD s’appliquera à toutes les sociétés européennes qui satisfont au moins deux des trois critères suivants : plus de 40 M€ de CA, plus de 20 M€ de bilan et au moins 250 salariés.​

La directive inclut le principe de double matérialité, financière et d’impact. La simple matérialité consiste à identifier seulement les facteurs environnementaux ou sociaux qui risquent d’affecter la performance financière de l’entreprise. En d’autres termes, elle sert les intérêts des investisseurs pour minimiser leurs risques. La double matérialité ajoute, à cette matérialité simple, l’analyse des activités de l’entreprise et ses impacts sur son écosystème social ou environnemental (en comprenant le scope 3, soit l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise).

La CSRD impose sur le volet environnemental l’élaboration d’un plan de transition intégrant les différents leviers de décarbonation, l’établissement d’une trajectoire carbone et la réalisation d’un bilan carbone avec les 3 scopes (pour les « catégories significatives » définies par le GHG Protocol). Malgré le signal fort envoyé par l’UE pour responsabiliser les grandes entreprises, le point bloquant aujourd’hui est que les sanctions sont propres à chaque État membre. Cette asymétrie de contraintes amenuise l’efficacité du dispositif.

Les industriels disposent d’un panel de solutions pour décarboner leurs activités en commençant par questionner leurs usages, besoins et modes de production

La recherche de sobriété énergétique et de matière reste le premier levier à actionner par les industriels pour réduire leur empreinte carbone de manière significative. D’autres solutions de rupture ou à gains rapides peuvent être mises en place pour réduire les émissions actuelles de GES, superflues ou résiduelles, dont certaines sont présentées ci-dessous :

Une stratégie complète de décarbonation implique donc pour un industriel de :

  • réfléchir et de mettre en place, au fur et à mesure, un ensemble de solutions complémentaires de décarbonation ;
  • collaborer avec tous ses fournisseurs et distributeurs, de l’approvisionnement à la gestion des déchets en passant par le transport et la distribution pour couvrir tout le cycle de vie de ses activités.

Par exemple, un des leviers importants de décarbonation pour un industriel de l’agroalimentaire concerne sa chaîne d’approvisionnement. En plus de choisir un agriculteur local et engagé, la réduction du gaspillage alimentaire sur la chaine amont est un axe stratégique.

Pour s’atteler à cette problématique, les outils de traçabilité sont indispensables pour identifier les sources de gaspillage, tels que les pertes lors de la récolte ou les excédents de stockage. Parmi ces outils, on retrouve les systèmes de gestion des stocks, les technologies de suivi par code-barres, les solutions de blockchain, ainsi que les logiciels de gestion de la chaîne d’approvisionnement. Réduire le gaspillage alimentaire implique également des actions en aval de la production avec par exemple le lancement de campagnes de sensibilisation aux impacts de la surconsommation à destination des clients.

Les institutions publiques européennes et françaises ont lancé des programmes d’aides qui contribuent à l’effort collectif de décarbonation des industriels, au côté des investissements privés

La réindustrialisation de la France implique de redoubler d’efforts pour décarboner d’une part les filières industrielles déjà existantes, mais aussi les nouvelles filières qui vont émerger dans les années à venir (par exemple, les filières de production de batteries ou de panneaux photovoltaïques…).


L’État a lancé le plan France Relance 2030 avec une enveloppe de 5,6 milliards d’euros, dont 4 milliards pour le soutien aux sites très émetteurs (chimie, aciérie, ciment et aluminium) et 1 milliard pour l’amélioration de l’efficacité énergétique. Il soutient en parallèle le développement de l’hydrogène avec un fonds dédié de 3,6 milliards (point d’attention : l’hydrogène vert doit être une priorité, mais il ne représente aujourd’hui que 5% de la production).


L’Europe accompagne aussi cet effort de transition. Ainsi, la Région Auvergne-Rhône-Alpes (pour laquelle nous avons réalisé une étude sur l’avancement des actions de décarbonation des industriels dont les résultats seront publiés prochainement) bénéficie d’une aide de 880 millions d’euros de l’UE, qui provient de 3 Fonds, dont le Fonds européen de Développement régional (FEDER).


Néanmoins, ces aides ne peuvent pas couvrir l’intégralité des investissements nécessaires. À titre d’exemple, pour décarboner les 50 sites industriels français les plus émetteurs de CO2, une enveloppe de 70 milliards d’euros en 7 ans est nécessaire selon le ministère de l’Industrie avec une contribution étatique de 15%. L’ensemble du tissu industriel français, grandes comme petites structures, doit consentir à des efforts, car ils sont tous interconnectés en étant chacun un maillon d’une même chaîne de valeur.

Notre étude menée sur la région Auvergne-Rhône-Alpes montre une disparité importante de maturité sur la décarbonation de leurs activités et met en évidence l’importance d’agir en écosystèmes

Nous avons interrogé une vingtaine d’industriels de la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’un des plus importants bassins industriels du pays, pour comprendre leur état d’avancement vis-à-vis de la décarbonation et pour identifier les freins et accélérateurs de ces processus.

Nous avons constaté un niveau de maturité disparate entre les entreprises selon les filières et tailles d’entreprises. En effet, les grandes entreprises sont souvent plus avancées dans leur démarche de décarbonation, car elles peuvent compter sur un investissement financier interne et externe plus important. Les acteurs de la métallurgie, très émetteurs de GES, apparaissent les plus investis sur ce sujet, avec de nombreux projets en cours de développement et des feuilles de route détaillées à horizon 2030 et 2050. Au-delà des filières, la mise en place d’actions « ESG » dépend en premier lieu de la volonté personnelle des dirigeants et l’engagement de leurs salariés.


Malgré l’enveloppe d’aides du plan France Relance 2030, les entreprises se concentrent aujourd’hui sur des leviers historiques comme l’efficacité énergétique, en jouant sur le chauffage par exemple, ou l’installation d’un système de management de l’énergie (SME). Elles sont frileuses dans l’adoption de solutions de rupture, comme repenser leurs modèles économiques pour passer d’une logique de propriété à une logique d’usage.

La majorité des projets de décarbonation qui nous ont été présentés sont menés en autonomie à l’échelle d’une usine, comme la récupération d’énergie fatale d’un métallurgiste pour alimenter le réseau de chaleur de sa collectivité, l’utilisation d’hydrogène décarboné (via électrolyse) par un laboratoire pharmaceutique, l’utilisation d’intrants recyclés (recyclage de métaux et récupération de déchets laminage pour un métallurgiste et retraitement de laitier pour un industriel de l’agroalimentaire) ou encore l’utilisation par un cimentier de combustibles solides de récupération (CSR) à forte teneur en biomasse provenant de la région.

Pour mener des projets ambitieux couvrant toute leur chaîne de valeur, les industriels ont besoin de soutiens de différentes natures pour répondre aux problématiques propres à chaque filière (cf. tableau ci-dessous qui récapitule les enjeux pour les industriels interrogés).

Deux industriels interrogés de la Vallée de la Chimie sont parties prenantes dans le projet « DECarboner LYon vallée de la Chimie » (DECLYC), lauréat de l’appel à projets ZIBaC, qui vise à encourager la logique de valorisation des co-produits. Un co-produit ou déchet d’un industriel peut devenir la matière première d’un autre acteur, le CO2 émis par un métallurgiste pour être réutilisé comme intrant dans le processus de fabrication d’un cimentier (cf. article sur la valorisation du CO2 – CCUS).

Cette démarche traduit l’importance de la collaboration à l’échelle d’un territoire entre les industriels, les financeurs publics et privés, les instituts de recherche et les acteurs de la formation dans la réussite des grands projets de décarbonation. La mise en commun des ressources (principe de l’écologie industrielle et territoriale), les boucles de recyclage, les réseaux de chaleur, la valorisation du CO2 ne fonctionnent qu’en créant des synergies au sein d’un écosystème industriel local (zone d’activités, ville, quartier, etc.).

Pour mener à bien des projets de décarbonation à grande échelle, impliquant des acteurs publics et privés français ou étrangers, nous avons identifié différents verrous à lever :

La décarbonation est un tournant incontournable pour les industriels, d’une part pour s’atteler aux défis environnementaux, mais aussi pour assurer leur compétitivité à long terme. En s’engageant dans cette transition, les entreprises peuvent non seulement réduire leur impact environnemental, mais aussi générer de nouvelles opportunités de croissance, améliorer leur image de marque, renforcer leur résilience et adaptabilité face à la crise environnementale et devancer les règlementations.

Les enjeux de traçabilité, de biodiversité, de gestion de l’énergie et de circularité dans l’industrie feront l’objet de prochains articles, car ils sont interconnectés avec le sujet de la décarbonation. Dans la transition vers une économie durable et bas carbone, suivre les impacts environnementaux tout au long de la chaîne d’approvisionnement et favoriser la réutilisation des ressources contribue à la préservation de la biodiversité et à l’adoption de pratiques circulaires.


Yélé accompagne les industriels dans la décarbonation de leurs activités. Notre méthodologie repose sur une approche holistique, comprenant un diagnostic initial de toute leur chaine de valeur pour identifier les principaux pôles d’émissions de GES, étudier les solutions technologiques à mettre en place, élaborer une feuille de route pour répondre à ces enjeux et assurer le pilotage et le suivi du plan d’action.

Auteurs : Juliette Elie-Lefebvre

Vous souhaitez en savoir plus sur le sujet ? Vous souhaitez discuter de ce sujet avec nos consultants experts ? Contactez-nous !