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Les villes intelligentes, une piste pour construire l’avenir urbain des pays en développement

LES DÉFIS DE L’URBANISATION CROISSANTE DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT [1]

En 2050, la proportion de la population mondiale vivant en milieu urbain devrait atteindre 66% [2], contre 54% en 2014. Ce phénomène d’urbanisation sera d’autant plus significatif dans les pays les moins développés [3], pour lesquels la population urbaine représentera 50% en 2050, alors qu’elle n’est que de 31% actuellement.

L’attrait des populations pour les zones urbaines s’explique par l’activité économique et les opportunités d’emploi qu’elles concentrent : 80% de l’activité économique à l’échelle mondiale [4] se développe dans les villes. L’exode rural et la croissance soutenue des populations urbaines et périurbaines complexifient les challenges à relever pour les villes. On peut notamment citer les contraintes liées à leur approvisionnement en ressources et à l’élimination de leurs déchets. Bien que l’urbanisation soit reconnue comme un moteur de développement économique et social, elle s’accompagne de forts impacts environnementaux, aussi bien aux niveaux local que mondial, tels que l’assèchement des zones humides, l’extraction de matériaux de construction en grandes quantités, la pollution des eaux, la pollution atmosphérique, etc. Les villes sont ainsi à l’origine de 80% des émissions de gaz à effet de serre et représentent 75 % de la consommation mondiale d’énergie [5].

Contrairement aux pays développés, dont la population urbaine devrait croître plus modérément et qui disposent de solides infrastructures existantes, les pays en développement vont devoir déployer rapidement de nouvelles infrastructures efficaces et flexibles pour répondre aux évolutions démographiques de leurs territoires. Une urbanisation rapide et mal maîtrisée ne mettant pas en regard des besoins des habitants les infrastructures et la gouvernance adéquates risque en effet de s’accompagner d’un accroissement de l’extrême pauvreté urbaine et, dans certains cas, du développement ou de l’extension accélérée de bidonvilles. Des efforts de planification seront donc indispensables pour assurer aux populations la fourniture de services essentiels, tels que les accès à l’énergie, à l’eau, au traitement des déchets, au logement, à la santé et aux transports, tout en maîtrisant les impacts sociaux et environnementaux associés.

Les villes des pays en développement devront ainsi monter en compétence sur une large palette de problématiques (énergie, transport, etc.) et réaliser des investissements importants, en veillant à maintenir des coûts compatibles avec leurs cadres budgétaires souvent fortement contraints. La transition vers des villes plus communicantes et plus durables, s’appuyant sur de nouvelles méthodes d’aménagement et de gestion de l’espace urbain, peut constituer un levier clé pour relever ces défis.

 

LE DÉVELOPPEMENT DES SMART CITIES : UNE RÉPONSE POSSIBLE

Le concept de Smart City a vu le jour avec les évolutions rapides observées dans le domaine des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), qui offrent la possibilité de déployer à coûts maîtrisés des solutions performantes pour rendre les infrastructures urbaines plus communicantes (pilotage de l’éclairage public, télérelève des compteurs d’énergie, etc.). De nombreuses définitions de la Smart City coexistent, donnant une importance plus ou moins marquée à la composante technologique.

L’une des définitions les plus exhaustives a été proposée dans le cadre du projet européen TRANSFORM :

« La Smart City permet d’offrir aux habitants un espace de vie agréable, abordable, respectueux de l’environnement et répondant aux besoins et aux intérêts de ses usagers et basé sur une économie durable. La Smart City est très efficace dans son utilisation de l’énergie et des ressources et elle est de plus en plus alimentée par des énergies renouvelables. Elle repose sur un système de ressources résilient et intégré ainsi que sur des approches de planification innovantes. Les technologies de la communication et de l’information sont souvent des moyens pour atteindre ces objectifs. » [6]

Les expérimentations Smart City bénéficiant actuellement de la plus grande visibilité se déroulent en Europe, aux États-Unis, en Asie et au Moyen-Orient. Ces projets promeuvent la vision d’une ville intelligente s’appuyant sur des investissements significatifs, requis par le déploiement de solutions de hautes technologies, et sur une implication renforcée des différents acteurs de l’espace urbain, dont les habitants. Cette approche très demandeuse en capitaux peut sembler moins adéquate pour les villes de pays en développement, et notamment celles ayant des capacités budgétaires limitées. Les financements nationaux et locaux pourraient cependant être complétés par des sources externes, bailleurs de fonds internationaux ou investisseurs étrangers.

L’acceptabilité sociale des changements constitue également un point critique du développement des Smart Cities dans les pays en développement. En effet, dans des pays où les structures décisionnelles sont historiquement centralisées et où les niveaux de corruption sont parfois élevés [7], la population peut se montrer méfiante vis-à-vis des pouvoirs publics. Il existe alors un risque important que les habitants ne voient dans la Smart City qu’un moyen pour les politiques et les industriels de justifier de lourds investissements servant avant tout leurs intérêts propres. La mise en œuvre d’une gouvernance associant la population à la conception de la ville représente ainsi un enjeu clé pour assurer une planification adaptée à ses attentes, en particulier quant à l’amélioration de la qualité de vie. L’exemple du déploiement de compteurs électriques communicants à Noida, en Inde, illustre cette nécessité d’impliquer les populations locales [8] dans la construction de la ville intelligente. Souhaitant réduire les vols d’énergie sur son réseau, le distributeur d’électricité NPCL a décidé d’installer des compteurs prépayés dans une zone particulièrement pauvre. Face au risque de rejet du projet par la population, la NPCL a sensibilisé les habitants à l’importance de la lutte contre le vol d’électricité via des spectacles de rue et leur a proposé des solutions simples de maîtrise de leurs consommations d’énergie. Cette implication de la communauté a ainsi contribué au succès du projet, loin d’être garanti initialement.

Etant donné les défis financiers et sociaux soulevés, la pertinence de la promotion et de l’application du concept de Smart City dans le contexte des pays en développement peut être questionnée. Pour exemple, des chercheurs de l’Africa Research Institute, think-tank britannique spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, déclarent « Ces projets fantasques pour les grandes villes africaines remportent des récompenses. En général, ils mentionnent en passant les besoins des habitants des bidonvilles et prétendent viser d’autres fins louables. Cependant, la mise en oeuvre de plans complètement non viables et inappropriés du point de vue du climat, des infrastructures disponibles (en particulier la production d’électricité) et des coûts révèle leurs défaillances. » [9]

Au premier abord, l’évolution vers les Smart Cities semble donc plus ardue pour les villes des pays en développement. En réalité, l’adaptation des infrastructures urbaines existantes requise dans les pays développés pour la mise en place de solutions innovantes engendre une complexité et des coûts d’intégration conséquents. A contrario, les pays en développement peuvent plus facilement déployer de nouvelles technologies au sein de leurs environnements urbains moins contraints par le poids de l’existant. Cette flexibilité confère un atout essentiel à leurs villes pour opérer le saut technologique vers la Smart City. Sur le volet énergétique, les pays en développement pourraient par exemple développer directement des infrastructures de type Smart Grids adaptées à leurs enjeux locaux (via le déploiement de compteurs intelligents prépayés et de moyens de production décentralisés notamment), sans avoir auparavant bâti des réseaux électriques robustes desservant l’ensemble de leurs territoires. Une dynamique similaire a déjà été observée dans le domaine de la téléphonie, où l’Afrique n’a pas attendu un taux de pénétration élevé des solutions filaires pour négocier le tournant vers le mobile.

Au-delà de l’angle technologique, l’importance des paramètres culturels et sociaux dans la mise en oeuvre de la Smart City implique que les particularités locales soient placées au coeur des préoccupations de la ville. Seule une adaptation pragmatique du concept permettra de faire de cette transition un succès. Les modèles retenus par les villes de pays en développement ne peuvent ainsi se calquer sur ceux expérimentés dans les pays les plus riches. De même, des disparités importantes entre les solutions mises en place dans différentes villes de pays en développement sont inéluctables. En adoptant une approche raisonnée et propre à chaque contexte, l’exploitation des NTIC et l’association des populations aux processus décisionnels peut soutenir un développement efficace et une gestion intelligente des infrastructures des villes de pays en développement. La déclinaison du concept de Smart City deviendra alors un moyen de répondre aux besoins des populations tout en maîtrisant certains des risques majeurs inhérents à un développement urbain miné par une mauvaise planification : dégradation des services publics, développement de bidonvilles, pollution accrue, augmentation du chômage, de la pauvreté et de l’insécurité, etc.

Des initiatives d’utilisation de nouvelles technologies permettant de renforcer la qualité des services rendus aux habitants (énergie, transport, logement, santé, etc.) ont déjà émergé dans certains pays. Bien qu’encore marginales, elles montrent que des solutions « smart » peuvent dès aujourd’hui contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les villes de pays en développement.

 

DES EXEMPLES D’INITIATIVES MARQUANTES

OPENSTREETMAP (TANZANIE)

Les villes évoluent rapidement et souvent de manière incontrôlée dans les pays en développement, où d’immenses bidonvilles peuvent voir le jour en périphérie urbaine. Cette expansion désordonnée complexifie la tâche des municipalités pour analyser et résoudre les problèmes auxquels sont confrontés leurs habitants. Les autorités locales ne disposent alors que d’une faible visibilité sur l’organisation réelle du territoire et sur ses besoins en infrastructures.

Illustration du mapping du bidonville de Tandale [11]

Partant de ce constat, un groupe d’étudiants de Dar es Salaam (Tanzanie) s’est formé à l’utilisation de tablettes numériques et de solutions de cartographie libres de droits afin de cartographier le bidonville de Tandale [10]. Parcourir la zone équipés de ces outils leur a permis de répertorier l’ensemble des rues, chemins, équipements publics (toilettes, fontaines à eau, points de collecte de bouteilles plastiques, etc.), écoles ou encore bâtiments religieux.

Ce projet illustre une application concrète du concept de Smart City, en montrant que l’usage innovant de nouvelles technologies numériques peut permettre à la ville et ses habitants de disposer d’une cartographie fiable du territoire, brique indispensable en vue d’une meilleure planification urbaine. L’intérêt de l’utilisation de solutions open source est également mis en avant, ces dernières étant facilement accessibles et adaptables aux besoins des villes des pays en développement.

 

E-HEALTH BACKPACK (BRÉSIL)

Pour répondre au défi du vieillissement des populations les plus pauvres, des expérimentations sont lancées dans certains pays dans le but de développer de nouvelles applications de télésanté (e-health). L’objectif consiste à tester des méthodes et solutions innovantes permettant d’améliorer la qualité des services de soins tout en réduisant les coûts induits pour la communauté.

Oxymètre et tensionmètre intégrés à l’e-health backpack [12]

Dans cette optique, un produit « e-health backpack » a été développé par General Electric (GE) et est expérimenté dans le cadre d’un projet pilote à Rio de Janeiro (Brésil). Le concept repose sur la fourniture de services de santé dans des zones urbaines pauvres, mal desservies par les transports en commun et faiblement pourvues en infrastructures médicales. La solution proposée par GE permet d’établir en quelques minutes des diagnostics sur site lors de la visite chez les patients, en comparaison avec un délai pouvant atteindre 2 semaines suite à une consultation à l’hôpital. Les premières analyses11 indiquent que les bénéfices économiques découlant de la réduction du nombre d’évènements médicaux et d’hospitalisations compensent le coût élevé (42 000 $) de l’équipement employé.

Une des prochaines étapes du projet visera à mettre à disposition des personnels soignants des tablettes sans fil pour collecter, stocker et analyser les données issues des examens menés au domicile des patients. Ceci permettra d’approfondir les opportunités offertes par l’utilisation de moyens médicaux high-tech au bénéfice des populations défavorisées.

 

CONCLUSION

Les villes des pays en développement peuvent s’inspirer du concept de Smart City pour exploiter pleinement le potentiel des NTIC au service de la gestion de leur espace urbain et de la qualité de vie de leurs citoyens. Une approche pragmatique tenant compte des spécificités locales est possible, et nécessaire : une smart city africaine ne ressemblera donc pas à une smart city européenne ou américaine !

Malgré la disparité des contextes et des besoins, la transition vers des villes plus intelligentes peut constituer une solution de premier plan pour permettre aux pays en développement de répondre aux défis résultant de la croissance de leurs populations urbaines. Ces pays, bénéficiant d’une inertie moindre dans leurs infrastructures et organisations, représentent en effet un terrain propice à une mutation rapide. La prise en compte des contraintes financières et l’association des populations aux processus décisionnels seront des facteurs clés pour concrétiser cette évolution et en faire une réussite.

 

[1] Référence à la classification « Less developed regions » de l’ONU qui comptabilise l’Afrique, l’Asie (excepté le Japon), l’Amérique Latine et les Caraïbes, ainsi que la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie.

[2] United Nations Department of Economic and Social Affairs World Urbanization Prospect – 2014 Revision

[3] Référence à la classification « Least developed regions » de l’ONU qui comprend 49 pays (34 en Afrique, 9 en Asie, 5 en Océanie et 1 en Amérique Latine et aux Caraïbes.

[3b] Estimations venant du « World Urbanization Prospects: The 2014 Revision » de l’ONU

[4] McKinsey Global Institute, 2011 – Urban world: Mapping the economic power of cities

[5] The World Bank, 2010 – Cities and Climate Change: An Urgent Agenda

[6] TRANSFORM – Deliverable 1.1 Definition of Smart Energy City – http://urbantransform.eu/about/smart-energy-city/

[7] Transparency International – Indice de Perception de la Corruption 2012 < 40% pour les pays en développement http://www.transparency-france.org/ewb_pages/div/Indice_de_Perception_de_la_Corruption_2012.php

[8] Tackling Power Theft through Meter Data Management and Quality Analysis –

[9] Watson V, Agbola B, 2014 – Africa Research Institute – Qui va prendre en charge l’aménagement des villes africaines?

[10] Projet Open Mapping in Tandale – http://explore.ramanitanzania.org/

[11] Source : http://tandale.ramanitanzania.org/

[12] Source : http://www.newcitiesfoundation.org/wp-content/uploads/PDF/Research/New-Cities-Foundation-E-Health-Full-Report.pdf

 

À propos de Yélé Consulting

Yélé Consulting est un cabinet de conseil spécialisé dans la transformation numérique et la transition énergétique des territoires et des Utilities. Grâce à notre expertise Smart Grids et Smart Cities, nous accompagnons nos clients, acteurs du secteur de l’énergie et collectivités territoriales, dans leurs programmes d’expérimentations et d’industrialisation Smart Grids, dans la valorisation des données énergétiques à l’échelle d’un territoire, et dans le développement de services urbains innovants et de nouveaux usages intégrés au réseau électrique. Créé en 2010, Yélé compte aujourd’hui près de 60 collaborateurs issus de parcours professionnels au croisement des filières énergétique et numérique. Yélé est membre de l’association professionnelle Think Smartgrids et du pôle de compétitivité Systematic Paris-Region dédié au numérique.