Les réseaux de gaz intelligents jouent un rôle crucial dans la transition énergétique en France, en intégrant des technologies numériques pour optimiser la gestion et la flexibilité des flux gaziers. Cette innovation permet de maximiser l’efficacité énergétique tout en minimisant les coûts et les impacts environnementaux.
Intégration des technologies numériques et rôle de la flexibilité dans l’optimisation des flux gaziers.
La transition énergétique française repose sur un ensemble d’actions de sobriété, d’efficacité énergétique et de déploiement à grande échelle des énergies renouvelables. À ce titre, le verdissement du gaz joue un rôle essentiel dans le développement économique des territoires et la décarbonation de notre tissu industriel. Cette énergie renouvelable, stockable, non intermittente et locale est produite à partir de déchets par méthanisation, et bientôt par gazéification hydrothermale, pyrogazéification et méthanation.
Cependant, le développement des gaz renouvelables et bas-carbone n’est pas sans impact pour les réseaux de gaz qui acheminaient il y a peu du gaz de l’amont (les pressions hautes) vers l’aval (les pressions basses). La décentralisation et la multiplicité des points d’injection de gaz, couplés à une baisse de consommation d’année en année, nécessite de mettre en place des solutions de pilotage dynamique du réseau en temps réel. De plus, la saisonnalité de consommation du gaz (cinq fois plus importante en hiver qu’en été) requiert un équilibrage plus fort en été sur les réseaux de distribution où sont principalement situées les installations de production de biométhane. Les opérateurs de réseaux doivent donc adapter les infrastructures, optimiser le fonctionnement des réseaux et leur mode de pilotage.
Que sont les smart gas grid ?
Les Smart Gas Grids (SGG) ou réseaux de gaz intelligents sont des systèmes de gestion des flux de gaz en temps réel. De la même manière que les Smart Grids en électricité, ils intègrent les nouvelles technologies de l’information, de la communication et de la collecte de données. Ils coordonnent les besoins et les capacités des producteurs de biométhane, des gestionnaires de réseau (transport, distribution et stockage), des consommateurs et toute autre partie prenante du marché de l’énergie. Ils ont pour objectif d’améliorer la flexibilité et la résilience des infrastructures de réseau pour optimiser leur efficacité tout en minimisant les coûts et les impacts environnementaux.
Ces dernières années, la multiplication des sites de production de biométhane a mis en valeur le besoin de digitalisation du réseau de gaz permettant un pilotage des flux en temps réel. Aujourd’hui, 685 sites injectent du biométhane sur les réseaux, mais on pourrait en compter jusqu’à 7000 en 2050.
Un besoin pressant de digitaliser pour mieux piloter
Les différents scénarios de mix énergétique prévoient une consommation de gaz d’environ 320 TWh en 2050 (contre 380 TWh en 2023). Mais la transformation des réseaux, notamment le passage d’un fonctionnement traditionnel avec des flux unidirectionnels vers un fonctionnement flexible avec des flux plus bidirectionnels, représente un challenge d’envergure.
Alors pourquoi digitaliser ?
Sur le plan environnemental, les gestionnaires de réseaux devront limiter leur empreinte carbone en minimisant les fuites de méthane.
Sur le plan économique, les investissements en infrastructure sont de plus en plus rationalisés, amenant les opérateurs à s’adapter et à mieux réfléchir les flux.
En termes de production, afin de garantir des prix finaux acceptables, les producteurs devront veiller à rester compétitifs, notamment en s’appuyant sur les technologies numériques. L’internalisation de la production, à savoir la production sur le territoire français, rendue possible via les économies d’échelles et les différentes réglementations environnementales, est à l’origine d’un impact économique positif.
Enfin, les défis techniques restent non négligeables. On vient de le voir, le passage de 685 sites d’injection aujourd’hui à plus de 7000 en 2050 doit être pris en considération et intégré dès à présent dans l’organisation des nouveaux réseaux. La décentralisation des flux ne pourra être gérée de manière fiable et efficace sans un monitoring accru qui passera par l’intégration des nouvelles technologies.
De quelles technologies parle-t-on ?
Les gestionnaires de réseaux déploient des capteurs et se basent notamment sur l’IoT pour collecter des informations à une fréquence élevée. Ces capteurs communicants installés en différents points du réseau renseignent en temps réel la pression parmi d’autres paramètres et permettent une gestion optimisée de l’équilibre production – consommation. En 2018, plus de 17 000 capteurs et 200 000 puces RFID ont été installés sur le réseau de GRDF.
Des compteurs communicants sont également déployés sur l’ensemble des territoires, ce qui favorise les actions de maîtrise de la consommation et représente un atout supplémentaire pour optimiser le pilotage global des réseaux.
Ces outils permettent aux gestionnaires de disposer d’un certain nombre d’informations qui doivent ainsi être efficacement valorisées et utilisées pour optimiser le fonctionnement des réseaux. C’est le rôle des systèmes de management de l’énergie (EMS) qui gèrent en continu les flux de gaz en se basant sur des algorithmes et autres outils de calcul. Via une modélisation dynamique du réseau, les EMS permettent d’effectuer des ajustements en temps réel et d’identifier les inefficacités.
Dans la même thématique, on peut également citer les jumeaux numériques. Répliques virtuelles des process, services ou objets, ces derniers se prêtent parfaitement bien aux simulations des réseaux de gaz et s’insèrent dans une démarche d’anticipation notamment en détectant les problèmes en amont, en estimant les temps d’arrêt de certains tronçons du réseau ou encore en s’exerçant sur la maintenance.
Enfin, la donnée, à travers l’IA, l’apprentissage automatique et le Big Data, représente un élément incontournable que ce soit dans le cadre de la conduite ou la maintenance du réseau. Cette donnée qui remonte des capteurs, compteurs et autres dispositifs de transmission, améliore la prise de décisions et permettra de faire des arbitrages automatiques entre la production, la consommation et l’état du réseau en temps réel (par exemple lorsque la production est supérieure à la consommation en période estivale). Dans certains cas, cette donnée peut être mise à disposition du grand public sur des plateformes type ODRE afin de garantir une complète transparence vis-à-vis de tous les acteurs.
Pourquoi déployer les smart gas grid ?
Pour piloter efficacement le réseau d’une part, et pour les bénéfices environnementaux d’autre part, les smart gas grids augmentent l’injection de gaz renouvelables dans les réseaux, dont le biométhane. Ils contribuent donc à la décarbonation des territoires en optimisant l’acheminement des gaz, en monitorant précisément les quantités produites et la consommation ou encore en améliorant l’efficacité énergétique des réseaux.
Sur le plan économique, le recours au numérique permet de limiter les dépenses en infrastructures et de parvenir à réaliser la transition énergétique à coût maitrisé. La transformation et la mutation des réseaux est adressée de manière plus optimale en se basant sur des leviers tels que le stockage mobile ou les flexibilités de production aujourd’hui rendus possibles grâce aux technologies numériques.
L’utilisation des technologies digitales permet par ailleurs de renforcer la fiabilité des réseaux via l’anticipation des incidents et l’amélioration de leur disponibilité. La remontée de données combinée au traçage de plus en plus fin du réseau permet de modéliser en temps réel les flux de gaz sur le réseau et de connaitre les impacts en termes de qualité gaz que cela pourrait engendrer. La prise de décisions est ainsi améliorée et l’intégration des gaz verts est accélérée, en faveur de la transition énergétique ciblée aujourd’hui. Enfin, la sécurité qui reste un domaine suivi de très près par les gestionnaires est également améliorée grâce au digital.
Flexibilité et complémentarité du gaz et de l’électricité
La flexibilité est la capacité à ajuster rapidement et efficacement les flux de gaz ; elle permet de répondre aux variations saisonnières de la demande qui peuvent être jusqu’à cinq fois plus élevées en hiver qu’en été. Cette flexibilité peut être comparée à celle observée dans les réseaux électriques intelligents, où la gestion des sources d’énergie renouvelables comme le solaire et l’éolien nécessite également une adaptation rapide pour répondre à la demande variable. La complémentarité des énergies entre gaz et électricité devient ainsi cruciale, permettant une gestion intégrée et synergique des flux énergétiques. Par exemple, les excès de production électrique peuvent être convertis en gaz pour le stockage et l’utilisation ultérieure, contribuant à une meilleure utilisation des ressources et à la stabilité des deux réseaux. Ces technologies permettent non seulement de stabiliser l’approvisionnement en gaz renouvelables, mais aussi de répondre de manière dynamique aux besoins changeants du réseau, optimisant ainsi son efficacité opérationnelle et sa résilience face aux perturbations.
Concrètement, quelles initiatives existent déjà ?
En France comme à l’étranger, les initiatives ne cessent de se développer.
À l’échelle nationale, de nombreuses initiatives tournent autour des smart gas grids:
- Le programme Flores lancé par GRDF et soutenu par la CRE qui permet de définir de nouveaux modèles de service de flexibilité entre l’opérateur de réseau et les producteurs de biométhane. Les démonstrateurs ont donné suite à d’autres installations en France, notamment en Vendée, permettant de répondre à un déséquilibre temporaire du réseau.
- GRDF a aussi installé 11 millions de compteurs communicants Gazpar permettant aux consommateurs de suivre et maitriser leur consommation quotidienne et travaille actuellement sur le projet d’Exploitation Dynamique du Réseau pour optimiser le pilotage en temps réel.
- Le projet West Grid Synergy, premier démonstrateur européen de réseau gaz intelligent, utilise le numérique pour partager des informations, prioriser l’injection de biométhane, exporter le biométhane excédentaire du territoire, et optimiser les flux.
- Il y a quelques mois, GRDF a lancé un appel à projet pour faire émerger des solutions de partage de données permettant de faciliter l’équilibrage du réseau et favoriser l’injection de biométhane localement.
Sur le plan international :
- Le compteur communicant reste la technologie la plus utilisée. Outil utilisé en tant qu’interface entre les gestionnaires et les clients finaux, il représente une source de données essentielle permettant de cibler au mieux les demandes de gaz et d’adapter l’offre en fonction par les gestionnaires.
- En Asie, le transporteur Thaïlandais a récemment déployé un grand plan de digitalisation de ses assets avec notamment la maintenance prédictive des stations de compression.
Parmi les opérateurs ayant déjà adopté les SGG on retrouve Shangai gas, E.ON, Italgas, Socalgas. Les niveaux de maturité et les technologies utilisées différent d’un pays à l’autre.
Quels sont les principaux enjeux au développement des réseaux de gaz intelligents ?
Les enjeux techniques concernent la gestion de la complexité croissante des réseaux avec une augmentation du nombre de points d’injection et une décentralisation des flux. Cela demande une surveillance accrue et une capacité à gérer les flux bidirectionnels de manière fiable et efficace, ce qui est relativement nouveau pour les gestionnaires de réseau.
En raison de leur mission de service public, les gestionnaires de réseau de gaz sont soumis à des exigences élevées en matière de cybersécurité, ce qui rend la protection des données et la fiabilité des systèmes absolument essentielles.
Sur le plan réglementaire et législatif, la transition vers les réseaux de gaz intelligents nécessite un cadre clair et stable pour encourager les investissements et l’innovation. Les enjeux portent sur la mise en place de normes pour l’interopérabilité des systèmes, la définition des rôles et responsabilités des différents acteurs, et la garantie de l’équité d’accès au réseau pour tous les producteurs de gaz renouvelables.
Perspectives : innovation et scalabilité des technologiques
On peut s’attendre à voir émerger de nouvelles solutions pour améliorer la gestion des réseaux de gaz. Cela pourrait inclure des outils de modélisation et de simulation plus avancés, des capteurs plus précis et plus résilients, et des systèmes de gestion de l’énergie plus sophistiqués. La scalabilité de ces technologies sera un facteur clé pour permettre leur déploiement à grande échelle.
À long terme, les réseaux de gaz intelligents joueront un rôle clé dans la transition énergétique. Ils permettront une intégration plus efficace et plus flexible des gaz renouvelables, contribuant ainsi à la décarbonation des territoires. En outre, ils favoriseront une gestion plus efficace des ressources énergétiques, en optimisant l’équilibre entre la production et la consommation et en minimisant les coûts et les impacts environnementaux. Enfin, ils faciliteront la participation active des consommateurs à la gestion de l’énergie, en leur fournissant des informations en temps réel sur leur consommation et en leur permettant de jouer un rôle actif dans la gestion de la demande.
Auteurs : Abdeljelil Khalsi, Audrey Bergeron