Devant dépasser l’illusion de ressources infinies, nous pouvons circulariser nos chaînes énergétiques, productives et logistiques pour y concrétiser une sobriété collective et individuelle. Nous vous proposons de découvrir sans plus tarder notre conviction sur la finitude et la circularité…
Découvrez « Finitude et circularité » en format audio avec l’interview d’Audrey BERGERON, autrice de la conviction #4 (retranscription écrite en fin d’article)
La raréfaction des ressources cruciales est un défi majeur, notamment pour les énergies propres, avec des impacts géopolitiques significatifs. L’extraction minière consomme une part importante de l’énergie mondiale, tandis que la distribution inégale des minéraux essentiels pose des défis d’approvisionnement. L’acier, l’aluminium, le cuivre et le nickel connaissent des problèmes d’accessibilité croissante. De plus, le sable, les sols agricoles et l’eau potable sont menacés par l’artificialisation, la dégradation et la surexploitation.
Face à cette situation, les modèles économiques doivent évoluer vers une circularité, promouvant la résilience et la durabilité. Cela implique de sécuriser les chaînes d’approvisionnement, de réviser la production et la distribution, et d’adopter des technologies numériques pour soutenir ces nouveaux modèles. Les entreprises doivent aligner leurs compétences et leurs valeurs avec cette transition, tandis que des partenariats territoriaux peuvent favoriser des solutions circulaires innovantes.
Enfin, une réglementation et des politiques favorables sont nécessaires pour accompagner cette transition vers une économie circulaire.
Pour approfondir notre conviction sur « Finitude et circularité », consultez-la en intégralité :
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Retranscription de l’interview :
Ismaël : Bonjour à tous et bienvenue dans la série de podcast Les Convictions de Yele Consulting. Dans cette série, nous parlerons des convictions sectorielles de Yele, où nous explorerons les idées, les innovations et les valeurs qui façonnent notre vision de l’avenir.
En tant que cabinet de conseil spécialisé dans la transition énergétique et environnementale et la transformation numérique, notre mission est d’innover ensemble pour une création de valeurs durable.
Dans cette série, nous vous invitons à plonger au cœur des enjeux cruciaux de notre époque, des défis de la soutenabilité à la nécessité de repenser nos modes de production et de consommation.
A travers cinq épisodes, nous partagerons nos convictions sur des thèmes tels que la complexification de nos systèmes, la circularité, le besoin d’axiologie pour l’usage des technologies et certains paradoxes majeurs de l’innovation numérique.
Chaque épisode nous offrira l’occasion d’explorer non seulement l’état actuel de ces domaines, mais aussi les solutions et les perspectives d’avenir que nous croyons essentielles pour créer un monde meilleur. Nous espérons que cette série vous inspirera.
Restez à l’écoute pour notre quatrième épisode.
Dans notre précédent épisode, nous faisions état avec Emmanuel Giorgi d’un changement de paradigme pour pérenniser nos ressources naturelles et d’une certaine sobriété de nos pratiques qu’il impliquait.
Aujourd’hui, nous retrouvons Audrey Bergeron qui va nous donner sa vision des projets sociétaux et industriels qui nous permettront de mettre en place la feuille de route de cette sobriété.
Ismaël : Bonjour Audrey, pour te présenter succinctement à nos auditeurs, tu es manager gaz renouvelable et décarbonation de l’industrie à Yele. Dans le podcast précédent, nous avons parlé de l’économie et de l’économie de l’industrie à Yele. Nous avons vu que pour assurer cette transition énergétique, il fallait certes tendre vers beaucoup plus de sobriété, mais aussi développer des méthodes de production décarbonée. D’où notre première question, quels sont les défis de cette production décarbonée aujourd’hui ?
Audrey : Bonjour Ismaël et merci de me recevoir. Je vais commencer par vous donner un chiffre. Chaque année, on extrait 100 milliards de tonnes de matériaux de notre planète. Dans ces 100 milliards de tonnes, on va retrouver principalement du sable qu’on va avoir dans la construction, dans une moindre mesure dans la fabrication du verre, mais on retrouve aussi beaucoup de métaux. Ces métaux, c’est eux qui vont être nécessaires à produire des énergies renouvelables dont on a besoin pour la transition énergétique. Comme tu le mentionnais aussi, ça va de pair avec la sobriété et l’efficacité énergétique. Mais pour développer ces nouvelles énergies renouvelables, on a besoin de métaux. Donc, ces 100 milliards de tonnes, ils s’inscrivent dans un contexte multifactoriel aussi, comme on l’a vu avec Guy-Roger Morin dans une précédente Conviction. On est aussi dicté par une croissance démographique puisque la population mondiale devrait frôler les 10 milliards en 2050.
Et dans ces contraintes-là, on souligne aussi l’impératif environnemental qui va nous pousser à reconsidérer nos pratiques comme on l’a vu avec Emmanuel Giorgi.
Il y a quelques temps, un rapport sur la sécurité d’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales a été remis au ministère de la Transition énergétique par Philippe Varin. Et lui, il parlait de diplomatie des métaux. Et c’est donc bien de ça dont il s’agit. Pour vous donner un exemple, le lithium et le cobalt qu’on va retrouver dans les batteries des véhicules électriques proviennent principalement de quelques pays qui contrôlent trois quarts de la production mondiale. Pour le lithium, il va s’agir de l’Australie et du Chili. Pour le cobalt, c’est principalement la République démocratique du Congo. Et même parfois, il y a un unique pays qui va produire plus de la moitié de la demande mondiale.
C’est le cas de la Chine, qui va concentrer 60% des terres rares à elle seule. Donc, tout ça, ça accroît la dépendance et la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement.
Et d’autre part pour d’autres ressources comme le cuivre et le nickel, par exemple, qui sont encore présentes en grande quantité, on est plutôt face à un problème d’accessibilité économique plutôt que de rareté. Dans certaines mines il devient de moins en moins rentable d’exploiter.
Et puis, on parlait du sable aussi précédemment, juste aussi pour vous donner un chiffre,
parce qu’on a dit qu’il était essentiel à la construction et qu’avec la croissance démographique, on va aussi en avoir beaucoup besoin. Ramener à l’échelle individuelle la consommation mondiale de sable, c’est 18 kilos par personne et par jour. Donc, c’est énorme.
Ismaël : Tu nous as mentionné la notion très importante d’accessibilité économique, mais également de la rareté ayant des enjeux environnementaux, démographiques, ou encore géopolitiques. Alors, que faire devant ce constat ?
Audrey : Une des réponses à ce constat, c’est la circularisation. Couplée, on l’a vu, à de la sobriété, de l’efficacité énergétique. Mais il faut qu’on repense nos modèles.
On va passer de modèles linéaires, on approvisionne, on produit, on consomme, on jette, à des modèles circulaires. Dans les 100 milliards de tonnes dont je vous parlais tout à l’heure, à peine 9% sont recyclés ou valorisés. Donc, ça veut dire que 9% de notre économie, finalement, est circulaire. Donc, on va chercher à systématiser de nouveaux modèles circulaires pour en faire une nouvelle norme.
Ces nouveaux modèles, ils imposent aussi des changements organisationnels et de gouvernance dans nos sociétés. On va avoir besoin de nouvelles compétences, par exemple, dans les achats responsables, dans la RSE, dans des nouvelles chaînes logistiques. Et puis, depuis le 1er janvier 2024, on le sait, les entreprises vont devoir
transitionner vers la directive CSRD, qui fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier durables. Donc, tout ça, ça va demander aussi des réorganisations, des changements.
Pour vous donner un exemple, quand on parle d’économie circulaire, on va regarder dans un territoire s’il existe des synergies entre acteurs,
donc des acteurs qui peuvent interagir entre eux dans une logique de produire et d’approvisionner leurs ressources de manière durable. Le déchet de l’un devient une ressource pour l’autre.
Mais aussi, on peut mutualiser des pratiques et des moyens organisationnels, mutualiser le traitement des eaux, des moyens logistiques, des bureaux. C’est un peu le principe du co-working, mais à une maille industrielle, territoriale.
Ça, c’est le fondement de l’écologie industrielle et territoriale. Le tissu industriel est différent d’une région à l’autre, et du coup, les mises en pratique de la circularité, de l’économie, le sont aussi. Donc, si je suis une entreprise internationale, j’ai des problématiques globales auxquelles je vais aller chercher des réponses locales, parce que la circularisation, on vient de le voir, ça n’a de sens qu’à une échelle locale et territoriale.
Si je prends l’exemple d’un laitier qui va donner ses rebuts de lait à un producteur de biométhane, qui va les utiliser en intrant de sa production, son biométhane, il va le réinjecter dans le réseau de distribution ou de transport. Ce même laitier, il peut réutiliser ce gaz, évidemment, pour sa production.
Ce gaz, il va pouvoir aussi être utilisé par un industriel énergo-intensif, donc un verrier, un cimentier, un papetier. Mais ce producteur de biométhane, il va pouvoir aussi revendre son bio-CO2, son CO2 biogénique, qui est aussi produit sur son site,
à, par exemple, de l’industrie agroalimentaire, qui va l’utiliser dans les boissons gazeuses. Donc, tout ça, ça va mettre en pratique, le concept d’écologie industrielle et territoriale. Les synergies entre acteurs, mais qui sont évidemment, donc, différentes, on l’a vu, en fonction des territoires, des pays, etc.
Ismaël : Concrètement, quels sont les leviers à disposition des entreprises ?
Audrey : Eh bien, les entreprises doivent repenser leur activité, on l’a vu. Donc, ça va être trouver des moyens d’approvisionnement résilients et plus sûrs, revoir leur matière, leur manière de concevoir, produire et distribuer, leurs produits ou services, et puis repenser la fin de vie de leurs produits. Donc, en ce qui concerne les approvisionnements, du côté de l’approvisionnement en énergie, on va pouvoir établir des contrats d’approvisionnement à long terme, qui vont dérisquer les coûts d’approvisionnement et qui vont permettre de générer des investissements dans des nouvelles filières, par exemple.
On connaît les PPA, les Power Purchase Agreement, mais depuis peu, ils ont leur équivalent en gaz renouvelable. Donc, par exemple, TotalEnergie a conclu son premier BP, les Biomethane Purchase Agreement, avec Saint-Gobain, l’année dernière, en 2023.
Il a permis de sécuriser l’approvisionnement en gaz du verrier français sur le long terme.
Pour ce qui est de l’approvisionnement en matières premières, eh bien, là, il faudrait plutôt essayer de trouver un équilibre entre diversifier ses fournisseurs pour répartir les risques, on l’a vu précédemment, et aussi réduire au maximum le nombre de matières premières qu’on utilise dans notre process pour standardiser et simplifier la conception du produit et du produit. Et du coup, faciliter le recyclage et la fin de vie.
C’est un petit peu le principe du Design for Recycling, où on va essayer de concevoir un produit en imaginant la meilleure manière et la manière optimum de le recycler ou le valoriser. Du côté de la conception, on a aussi l’éco-conception, évidemment, où on essaye d’intégrer le développement durable dès la conception du produit ou d’un service. Et puis, maintenant, il y a aussi de plus en plus d’entreprises qui adoptent le Lean Green.
Donc là, sur le principe général du Lean, qui est d’enlever le gaspillage pour tout ce qui ne crée pas de valeur ajoutée, en fait, on va l’enlever.
Et donc, dans le Lean Green, on va limiter ou on va supprimer la consommation superflue qui va affecter l’environnement. Et puis, pour ce qui est de la fin de vie du produit,
là, il faudrait trouver un équilibre, un compromis, entre recyclage et valorisation. Le recyclage, il y a des filières matures qui existent depuis longtemps, mais il y a un effet énergétique.
Ça peut prendre plus d’énergie pour recycler certains produits que d’en fabriquer des nouveaux. Et puis, il y a aussi des limites. Par exemple, pour les terres rares,. Pour l’instant, il n’y a que 1 % des terres rares qui sont recyclées. De même pour les polymères thermodurcissables, en fait.
Certains composés, pour l’instant, ne sont pas facilement recyclables. Donc, on va essayer de valoriser. Mais la valorisation, c’est pareil. Il faut trouver des filières.
Je peux donner un exemple, par exemple, CycleUp, qui est une marketplace de réutilisation des matériaux de construction. Donc, il y a tout un tas de filières, en fait, à mettre en place en fonction des matériaux à valoriser. Donc, en fin de compte, on a vu la circularité. Il y a des moyens qui existent.
Par contre, il faudrait que ce soit supporté par un cadre réglementaire. C’est-à-dire un cadre réglementaire assez incitatif, voire même assouplir la réglementation. Par exemple, la valorisation des eaux non conventionnelles. C’est la réutilisation des eaux usées traitées. Il y a aussi le tri à la source des biodéchets qui a été généralisé depuis le 1er janvier 2024. La directive CSRD, on en a parlé.
Donc, tout ça, en fait, ce sont des cadres réglementaires qui vont permettre de pérenniser des activités d’économie circulaire. Et puis, en fait, on l’a vu, la circularité, c’est un levier de souveraineté économique et énergétique.
Donc, pour bien réussir cette transformation-là, il faut de l’acceptabilité de tout le monde, de l’appropriation, c’est la conduite du changement. Il faut re-réfléchir nos manières de penser. Et puis, de la communication pour pouvoir effectivement bien communiquer sur tous ces nouveaux modèles.
Ismaël : Merci Audrey pour ces informations très éclairantes sur des notions clés telles que l’écologie industrielle territoriale ou encore la circularité. Merci à tous nos auditeurs. Nous vous retrouvons la semaine prochaine pour la conviction numéro 5 présentée par Mamadou Ndao qui nous parlera de son point de vue sur comment trouver une cohérence collective dans nos préférences technologiques.
Merci à tous et à bientôt.